«Stranger than Jim Jarmusch?»

    Caméra-stylo, programme n°39 |

      cameraStylo_39_WEB
      En cette année de centenaire, Passion Cinéma a décidé de faire la Fête (du Cinéma) en présentant l’intégrale (ou presque) d’un cinéaste américain âgé de 42 ans… nommé Jim Jarmusch!

      De fait, ce choix repose sur deux hypothèses qui demandent à être un brin creusées: primo, Jarmusch, en dépit de son jeune âge (pour un metteur en scène) et de la brièveté de son œuvre, appartiendrait déjà à l’Histoire du cinéma, tant ses films se révèlent emblématiques des années 80; secundo, il s’agirait du premier cinéaste à avoir pu se passer d’alibi pour pratiquer son art: autrement dit, Jarmusch ferait du cinéma par amour du cinéma, et rien d’autre ne viendrait interférer (idéologie, psychologie, économie et autre auto-censure).

      Fils de cinéphilie

      Secouons d’abord notre seconde hypothèse: né en 1953, élevé à Akron, une ville industrielle de l’Ohio, auteur de nouvelles publiées dans plusieurs magazines littéraires alors qu’il a à peine vingt ans, Jarmusch séjourne neuf mois (tout un symbole) à Paris où il découvre le septième art grâce à la Cinémathèque française qui lui fait découvrir son patrimoine cinématographique — c’est là en particulier qu’il voit pour la première fois les films de Samuel Fuller et de Nicholas Ray! Désormais fils de cinéphilie, il rentre à New York et s’inscrit deux ou trois ans plus tard à une école de cinéma (la New York University Graduate Film School); grâce à cette école, il peut rencontrer Nicholas Ray qu’il considère comme un maître, devient son élève-assistant et rencontre de ce fait le cinéaste allemand Wim Wenders qui tourne justement un film sur l’auteur de «Rebel Without a Cause» («La fureur de vivre», 1955).

      Un auteur

      Séduit par la personnalité de Jarmusch, Wenders l’encourage à tourner son premier film, «Permanent Vacation» (1980). Ce bref rappel autobiographique montre que le futur auteur de «Stranger Than Paradise» (1984) a abordé le cinéma animé par une passion «pure», nourrie par des références cinéphiliques atypiques aux Etats-Unis: en deux ou trois films, il devient un auteur (dans le sens français du terme), libre héritier à la fois de la Nouvelle Vague française et du «nouveau» cinéma tchèque des années 60 (Forman, Nemec, Passer).

      Post-moderne

      Dégagé des contraintes du marché hollywoodien (parce qu’il travaille avec des bouts de ficelles), Jarmusch réalise alors des œuvres qui trouvent en Europe un écho considérable; incarnant chez nous une figure type des années 80. L’on en arrive ainsi à notre seconde hypothèse: tout comme les «auteurs» européens des années 60 qu’il admire, Jarmusch constitue aussi le produit de son époque; incrédule, libéré de l’obligation de souscrire aux grands récits fondateurs du 20ème siècle (l’émancipation, la révolution, l’égalité, etc.), il évolue avec une liberté d’esprit qui atomise littéralement les structures du récit moderne: la citation devient un jeu valable; en valorisant les temps morts, la conversation anodine, le «contemplatif», le secondaire, Jarmusch traduit une pensée, une posture que l’on définira plus tard comme «post-moderne».

      Renouvellement

      Flanqué de son compère compositeur, John Lurie (qui a constitué un équivalent musical parfait de son cinéma), Jarmusch, de façon exemplaire, a très vite cessé de tenir cette pose (passionnante mais inconfortable), cela dès «Mystery Train» (1989). Il semblerait que son renouvellement ait atteint son summum avec «Dead Man», son dernier film en date, un western qui sortira sur nos écrans au début de l’an prochain.

      Vincent Adatte