Sans fin

de Krzysztof Kieslowski |
avec Grazyna Szapolowska, Aleksander Bardini, Jerzy Radziwilowicz, etc.

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    Le gros plan apparemment étranger à l’ac­tion révèle souvent chez Kieslowski les êtres dans leur plus profonde et complexe vérité. Ainsi, dès le début de «Sans fin», le sens se dédouble: dans la même image, la main se fait poing (révolte, violence) puis caresse (amour, douceur). C’est la main de Antoni Zyro, un jeune avocat décédé il y a quatre jours dans un accident de voiture… c’est lui qui nous le dit, face à la caméra; et c’est lui qui va nous guider, ou nous perdre, tout au long du film.
    Face à l’absence de son mari, Ula, sa femme, prend alors conscience de la force de son amour pour lui. Un amour qui la pous­se à aimer un autre homme, un après-midi de solitude, parce que ses mains ressemblent à celles du défunt. Un amour qui la pousse à se substituer à son mari, avocat proche du syndicat libre Solidarnosc, défenseur engagé dans des procès politiques.
    Guidée par le souvenir, elle prend en main une affaire que son défunt mari a laissé en plan. Elle la confie à un vieil avocat, Labrador, qui fut le mentor de son époux; celui-ci propose à l’accusé, un jeune grévis­te (pas même militant de Solidarnosc), un système de défense bien différent de celui qu’aurait sans doute adopté son jeune confrère. A l’image du jeune stagiaire exalté qui as­siste Labrador, l’avocat défunt aurait fait de l’accusé une victime du système répressif polonais, un martyre du communisme, quit­te à le laisser moisir en prison jusqu’à la «victoire de la liberté». Labrador propose plutôt à l’accusé de «muer le loup en chien», comme le dit un poème: mentir pour être libéré plus vite.
    Des deux systèmes de défense possibles, il apparaît que l’un comme l’autre travestis­sent la vérité. De même, en fin de film, l’accusé fait son choix (celui de la liberté), et la femme de l’avocat en fait un autre (celui de la mort); mais aucun de ces choix n’est déclaré ouvertement bon ou mauvais par Kieslowski.
    Comme «Le Hasard», «Sans fin» a été interdit en Pologne jusqu’en 1987; le discours sur une justice en crise était sans doute trop appa­rent. Pourtant, encore une fois, ne faut-il pas s’arrêter à cette première lecture poli­tique du film de Kieslowski.
    Ecrit avec son ami l’avocat Krzystof Piesiewicz, «Sans fin» amorce leur collabora­tion sur la série télévisée du «Décalogue»; et comme le démontrera plus tard leur travail biblique, le discours politique n’est ici — de l’aveu même du cinéaste — qu’un prétexte, prétexte pour nous signifier que la vie ne peut se réduire à de simples commande­ments (ou, ici à une justice) qui dirige­raient, manichéens, nos comportements. Comme dans le «Décalogue», Kieslowski n’adhère jamais à l’alternative — trop simple — offerte par la justice (qu’elle soit le fait de Dieu ou des hommes), qui exige qu’un homme soit innocent ou coupable. Kieslowski ouvre toujours dans ses films une troisième voie, imprévisible, incertaine, miraculeuse, fantastique: la voie humaine.
    BEZ KONCA, Pologne, 1985, 1h55, couleur; programme n°6