«Roman Polanski, cinéaste cosmopolite»

    Caméra-stylo, programme n°43

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    Roman Polanski est né à Paris le 18 août 1933, de parents juifs polonais. Trois ans plus tard, sa famille s’installe à Cracovie, où son père dirige une petite fabrique. En 1939, à l’arrivée des Allemands, son destin bascule: le petit Roman est enfermé avec sa famille dans le quartier juif de la ville.

    Obligé de porter l’étoile jaune, le petit Roman voit une vieille juive se faire assassiner par les Nazis au cour d’une rafle. En 1941, sa mère est déportée. En 1943, son père est arrêté et emmené à Matthausen. Caché jusqu’à la fin de la guerre dans une famille pauvre et catholique, à la campagne, Roman se passionne alors pour la lecture et pour le cinéma qu’il découvre à travers des films de propagande…

    Après la guerre, Roman découvre le plaisir de jouer la comédie chez les scouts. En 1952, il entame ses premières études «sérieuses» à l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie… puis à celle d’Art dramatique. Mais, Polanski se révolte contre la culture stalinienne. Frondeur, non-conformiste, il est chaque fois renvoyé. Roman Polanski se met alors à fréquenter les milieux d’intellectuels «dissidents», où il découvre les films français, américains et le Jazz. Il joue dans «Générations», le premier long métrage de Andrzej Wajda et pense pour la première fois à fuir à l’Ouest. En 1954, il réussit le concours d’entrée de la prestigieuse école de cinéma de Lodz, où il restera cinq ans.

    Pourtant, tout au long de ces années d’étude, il pense toujours à s’en aller: «Je n’ai jamais, jamais imaginé ma carrière en Pologne, précise-t-il. Go West, cela a été très rapidement une nécessité. D’abord, la terre polonaise, pour moi, a toujours été un endroit d’incertitude, à mi-chemin entre le camp et la zone devastée, un lieu où, raisonnablement, on ne pouvait pas grandir. (…) A vingt ans, j’étais une sorte d’adulte à corps d’enfant, un enfant-adulte avec un trait d’union et rien au milieu, rien de ce que l’on appelle d’ordinaire en France, une éducation, une initiation.»

    A la fin de ses études, Polanski tourne en 1962 «Le Couteau dans l’eau», son premier long métrage. Le film est très mal accueilli à sa sortie, ce qui pousse Polanski à émigrer définitivement à l’Ouest. Il s’installe pour un temps à Paris, où il fait la connaissance du scénariste Gérard Brach, avec lequel il écrira la plupart de ses films.

    A partir de là, Polanski ne va jamais cesser de parcourir le monde: Amsterdam, Londres, Los Angeles, Rome, Tunis… autant de capitales où il s’installe, tourne quelques films et puis repart. Aux États-Unis, où il pense un temps s’installer, il vit deux expériences très traumatisantes: en 1969, sa femme Sharon Tate est assassinée avec plusieurs de ses amis; en 1977, il est jeté en prison pour avoir entretenu une relation avec une mineure — ce qui lui vaut l’opprobre de la plupart des médias. Polanski quitte alors l’Amérique pour s’installer à Paris. Dicté par des drames et des échecs (apparents), le mouvement permanent du cinéaste n’est pas seulement géographique mais aussi, plus encore peut-être, cinématographique. A chacune de ses stations, Polanski s’adapte avec une facilité déconcertante aux conditions et aux contraintes de production liées au lieu où il s’installe.

    Chaque film permet à Polanski de «visiter» l’histoire et les genres du cinéma, comme si, à chaque fois, il s’appropriait quelques éléments de cette «culture» qui lui a manqué étant enfant. Il aborde avec le même bonheur l’aventure («Pirates»), la comédie («Le Bal des vampires»), le film d’horreur («Répulsion»), la tragédie («Macbeth»), le thriller («Frantic»), le film noir («Chinatown»), ce qui lui garantit souvent l’adhésion du plus grand public.

    Mais Polanski ne se contente jamais de «reproduire» un genre; il utilise ses classiques pour les remettre en question. Dans chacune de ses œuvres, plus ou moins mise en évidence, se retrouve toujours la même fracture: on ne peut pas croire à la vérité des histoires que raconte le cinéma lorsque, enfant, on a vu un peuple entier en éliminer — scrupuleusement — un autre. Pour Polanski, l’homme est aveugle; tout comme le voyageur de «Frantic» qui débarque à Paris, le regard plein de partis pris, il ne sait pas (ou ne veut pas) voir le dessous des choses. Citant Musset, Polanski répète: «il ne faut jurer de rien».

    C’est pourquoi les films de Polanski cherchent, toujours, à mettre en doute le visible et le rationnel. Mettant le spectateur à la place du personnage, le cinéaste, rusé et joueur, le laisse plongé dans le doute: La femme de «Répulsion» est-elle vraiment folle? Quelle est la véritable nature des relations du couple de «Lune de fiel»? Quel complot se cache derrière «Frantic»? Pour préserver la réponse, Polanski ne donne jamais de réponses; il feint de s’en moquer.

    Frédéric Maire