de Richard Dindo |
Max Frisch mort, le film de Richard Dindo tient désormais de l’Hommage, lequel jouit toutefois d’un avantage, précieux, inestimable: conçu du vivant de l’écrivain, il n’a vraiment rien d’un hommage!
De fait, Max Frisch, Journal I-III constitue une «lecture cinématographique» de Montauk, un récit écrit en 1974, absolument indispensable, puisque l’écrivain y décrit, pour la première fois, sa vie, «telle qu’elle a été» — ce sont ses propres mots. une intention, littéralement impensable, dont Dindo va tirer les plus belles conséquences.
Pour ce faire, le cinéaste répartit son propos sur trois chapitres: intitulé Pourquoi voyageons-nous, le premier chapitre expose la situation: en avril 1974, Frisch se rend à New York pour présenter son deuxième Journal (1966-71), et fait la connaissance de Lynn, une jeune femme employée dans sa maison d’édition; passant avec elle un week-end à Montauk, Long Island.
Le deuxième chapitre, De combien de patries avez-vous besoin, est innervé par un discours sur la patrie que Frisch prononce à Zürich, quelques mois avant l’idylle de Montauk dont, Dindo, de manière parallèle, tente de cerner toute l’importance littéraire. Nous vivons avec les morts, tel est le titre donné au troisième et dernier chapitre; celui- ci, arc-bouté sur des extraits de Triptyque — une pièce de Frisch qui traite du deuil — reprend le fil des événements liés à Montauk, qui se dénoue sur une réflexion de l’écrivain sur la Mort.
En collectant des «points de vue» qui proviennent de diverses sources — Super-8 tourné par Frisch lui-même, images d’archives, les siennes propres — Dindo, par le montage, opère une confrontation essentielle: lu par Michel Contat, Montauk est sans cesse confronté aux témoignages parfois contradictoires des femmes qui en constituent la substantifique moelle… Kate, sa première fiancée, la poétesse Ingeborg Bachmann, Marianne, sa deuxième femme, exception faite de Lynn qui s’est comme volatilisée, sitôt achevé le week-end à Montauk!
Advient alors la signification profonde de ce film qui en devient fondamental: un être humain, fût-il l’un des plus grands écrivains, ne peut prétendre à la vérité! c’est là tout ce que nous prouve l’image tremblante, insignifiante, de Lynn courant sur la plage, filmée par Frisch… élevée au rang de vision par le récit littéraire qui court sur la bande-son en quête de sens.
France / Suisse, 1981, 2h02, couleur & noir et blanc; programme n°8