Le Pays des sourds

de Nicolas Philibert |

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    Salué à sa sortie parisienne par une critique d’une rare unanimité, le film du cinéaste français Nicolas Philibert convie son spectateur à une exploration fascinante du «Pays des sourds». Ce faisant, il traite du thème de l’intégration d’une manière radicale: comment les sourds sont-ils à même de s’intégrer dans notre monde où le son joue un rôle essentiel, et cela surtout dans la communication?
    La genèse de ce long métrage documentaire à nul autre pareil remonte à quelque neuf ans. En 1984, le hasard de la vie amène Philibert à côtoyer le monde des sourds: frappé par la beauté, la richesse, la violence parfois, de la langue des signes, il a alors l’idée de lui consacrer un film. Dans un premier temps, Philibert écrit sur le sujet un scénario de fiction dont il ne parvient pas à trouver le financement.
    1989: l’idée, tenace, remonte à la surface, mais sous la forme d’un film documentaire. Excluant l’idée de faire parler tous ceux qui prétendent détenir un savoir sur les sourds, Philibert va montrer le «pays» de l’intérieur. Souhaitant réaliser un film «tout public» — dans le sens où il est destiné aux sourds comme aux entendants — le cinéaste décide de sous-titrer les signes du langage dont on use dans ce «pays».
    Montrant des enfants dans une école, des adolescents et, enfin, des adultes intégrés dans la vie de tous les jours, Philibert crée une mise en scène appropriée — évitant les gros plans — qui soit à même de rendre la complexité d’une langue «spatiale» avec laquelle on peut exprimer toutes les nuances de la pensée, des sentiments. Filmant de cette manière, entre autres scènes sublimes, un mariage de sourds, il atteint à une émotion poétique que le cinéma ne nous dispense plus guère et redonne de la noblesse au verbe «communiquer».
    La limpidité du propos tenu par Philibert opère alors un retournement envoûtant du thème de départ: entrant de plain-pied dans le «Pays des sourds», nous nous y sentons presque chez nous: la transparence immédiate, comme heureuse, de leur langue de signes rappelle une sorte de jardin d’Eden, d’avant Babel.

    France, 1993, 1h39, couleur; programme n°26