de Theo Angelopoulos |
avec Marcello Mastroianni, Jeanne Moreau, Gregory Karr, etc.
De fait, le dernier film de Théo Angelopoulos semble constituer une version apaisée de «L’Apiculteur» (l986), une variation heureuse de la fuite et de la disparition du personnage que jouait déjà à l’époque Marcello Mastroianni; le contraste joue d’autant plus que Le pas suspendu de la cigogne commence là où s’achevait le triste périple de «Paysage dans le brouillard»… la Frontière!
L’arpente, cette frontière, un jeune journaliste de la télévision grecque, en quête d’images: c’est qu’il est sensé lui consacrer son reportage. Egaré en repérages dans une petite ville surnommée «la salle d’attente», il croise un homme (Marcello Mastroianni) dont la pauvre allure, à priori, ne diffère guère de celle des centaines de réfugiés qui affluent en l’endroit: le journaliste croit pourtant le reconnaître… un homme politique, oui, et même une personnalité, disparue quelques années auparavant dans des circonstances jamais élucidées.
Ni une, ni deux: le professionnel cathodique contacte à Athènes l’ex-femme du politicien (Jeanne Moreau), depuis lors remariée, et la persuade de venir identifier l’homme qu’elle aima sans doute… Filmée, cette rencontre donnera matière à ce genre d’événement «sensationnel» dont la télévision se montre si friande. Mais, le moment venu, la femme ne procède pas à l’identification espérée: «ce n’est pas lui», confie-t-elle à la caméra, après un temps d’hésitation, magnifique, qui nous fait merveilleusement douter de son témoignage – de la raison profonde qui dicte ce refus d’interpréter le scénario médiatique, Angelopoulos, comme à son habitude, laisse son spectateur seul juge.
Privé de son événement, le journaliste se voit dès lors contraint de s’intéresser à la réalité présente de son personnage. C’est ainsi qu’il découvre que ce «faux» réfugié ne se contente pas de cultiver un modeste carré de patates devant le wagon qui lui sert de refuge; pénétrant plus avant dans son intimité – sans caméra -, il comprend alors que l’homme n’a pas renoncé, qu’il poursuit grâce à son anonymat de miséreux une action que jamais un politicien n’aura l’audace de faire accomplir: rétablir un lien social à même de vaincre l’arbitraire de la Frontière.
Narré de la sorte, Le pas suspendu de la cigogne s’apparente à un récit classique… filmé par Angelopoulos, il prend une forme poétique qui décline avec une virtuosité confondante le paradigme infini de la Frontière: frontière intime, frontière publique, frontière des hommes, frontière des langues, frontière du temps, des sentiments… réputées certes infranchissables mais toutes à passer.
France / Grèce Suisse / Italie, 1991, couleur, 2h20; programme n°4
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