«L’an 2000… et après ?»

Caméra-stylo, programme n°75 |


Dès ses débuts le cinéma a joué avec sa puissance spéculative — avec «Le voyage dans la Lune» de Georges Mélies (1902). Capable de «voyager» dans le temps, il a rapidement maîtrisé sa puissance visionnaire et, par films interposés, s’est mis à interroger l’avenir proche des sociétés occidentales. Mais que l’on ne s’y trompe pas: qu’il filme au futur ou au passé, le cinéma ne nous parle toujours que du présent! Les œuvres proposées par Passion Cinéma en sont la preuve évidente: que dénonce Carpenter dans son admirable «Los Angeles 2013», sinon la dérive puritaine de l’Amérique actuelle; même chose pour le Russe Tarkovski, qui, sous le couvert d’un récit de science-fiction, vilipende dans «Stalker» le «glacis» soviétique!

Visions du futur

Futur plus ou moins proche ou franchement abstrait… les films au programme développent leurs spéculations selon des modes temporels très différents: certains sont situés dans un avenir très précisément daté; c’est le cas des productions américaines, mais cet «infantilisme» de bon aloi n’étonnera personne — 2036 pour «L’armée des douze singes», 2019 pour «Blade Runner», les deux derniers jours de 1999 pour «Strange Days» D’autres, comme «Brazil», «La jetée» ou à nouveau «Stalker» sont, quant à eux, et à dessein, plus vagues dans leur rapport au futurisme, de manière à produire chez le spectateur une inquiétude fructueuse. Fait exception le très fascinant «Eraserhead» de David Lynch, qui échappe complètement aux catégories spatio-temporelles traditionnelles, donnant le sentiment passionnant d’un futur qui serait toujours déjà passé — le côté pulsionnel «primitif» de cet ensemble extraordinaire de visions n’est sans doute pas étranger à cette sensation à nulle autre pareille!

Cinéma et science-fiction

Sur le plan historique, tous ces films d’anticipation doivent beaucoup à deux «prototypes» remarquables: «Metropolis», bien sûr, film muet réalisé en 1927 par l’Allemand Fritz Lang qui décrit une société désespérément verticale (située en 2026) où les riches habitent tout en haut et s’ébattent dans des jardins suspendus babyloniens, tandis que les pauvres hantent les profondeurs. Cinquante-cinq ans plus tard, Ridley Scott reprendra cette division dans «Blade Runner». L’autre film fondateur est moins connu: il s’agit d’un film anglais intitulé «Things To Come» («La vie future») tourné en Grande-Bretagne en 1936, d’après un scénario original de Herbert George Wells (1866-1946), l’un des pères créateurs de la littérature de science-fiction — «La machine à explorer le temps» (1895), «La guerre des mondes» (1898), etc.. Réplique anglaise à «Metropolis», le film de Menzies décrit une apocalypse guerrière ayant lieu en 1940 (!), suivie d’un chaos urbain généralisé peu réjouissant auquel des savants très humanistes sauront mettre fin; ce thème de l’apocalypse terrestre va se retrouver dans une myriade de productions, dont «La jetée», «L’armée des douze singes» et «Stalker».

Anticipation sociale

Insistons sur le fait que les films présentés par Passion Cinéma dans le cadre de ce cycle appartiennent pour la plupart à une sorte de sous-catégorie du cinéma de science-fiction. Cette sous-catégorie se présente essentiellement sous la forme d’une anticipation sociale; engendrée dans le climat hédoniste de la fin des années soixante, celle-ci a été comme décuplée par le marasme économique et social lié aux années septante — en sont représentatifs des films tels que «La planète des singes» (1968), «Orange mécanique» (1971), «Soleil vert» (1973), Rollerball (1975) et, plus près de nous, «Mad Max» (1977), «New York 1997», «Brazil» (1984), «Robocop» (1988), «Strange Days» (1995) etc.. Encore très vivace au jour d’aujourd’hui, elle reflète (ou exploite) les incertitudes d’une société que la symbolique du futur passage à l’an 2000 rend peut-être encore un peu plus fébrile!

Partant, ce n’est sans doute pas un hasard si Los Angeles semble constituer un espace de prédilection pour maints cinéastes d’anticipation sociale qui en ont fait le creuset de leurs visions spéculatives: «Blade Runner», «Los Angeles 2013», «Strange Days» et «L’armée des douze singes» situent leur action dans la «ville des anges». Cité inhumaine, cauchemar social, véritable laboratoire de notre devenir urbain… à l’heure actuelle, Los Angeles appartient déjà à la science-fiction!

Vincent Adatte