de Andrzej Wajda |
avec Wojciech Pszoniak, Ewa Dalkowska, Marzena Trybala, etc.
Même si «Korczak» peut être perçu comme un film historique, c’est-à-dire le récit d’un individu exemplaire au sein du ghetto de Varsovie, de 1939 à 1942, il faut probablement davantage le lire comme un film urgent, qui évoque une douloureuse page de l’histoire polonaise en s’adressant au monde contemporain, à l’heure où l’antisémitisme semble renaître, à l’Est comme ailleurs.
Le choix du noir et blanc fait par Wajda transforme d’ailleurs notre perception. La distance qu’impose le noir et blanc devrait nous renvoyer au «passé», à un cinéma du temps où la couleur n’existait pas; pourtant, ce choix ne fait que renforcer la dimension véridique et contemporaine de la fiction que Wajda nous raconte.
Quand le cinéaste met en scène des Nazis filmant le ghetto, puis nous montre ces images (vraies, commanditées par Goebbels pour montrer «l’horrible mode de vie des juifs») à l’intérieur de sa propre «reconstitution historique», il ne ne nous restitue pas seulement une image réelle du ghetto, mais ausi une image proche, immédiate, bancale, aussi «urgente» que celle d’un reportage — comme dans «L’Homme de fer».
Korczak, à la fois témoin, passeur et acteur de l’Histoire, n’a de fait rien d’un homme du passé: son souvenir reste vif dans l’esprit des Polonais, et son travail de pédagogue nous semble aujourd’hui étonamment moderne. Juif polonais, Korczak n’a jamais autant affirmé ses origines juives que lorsqu’il a choisi de lui-même de s’enfermer avec ses enfants dans le ghetto, alors que certains de ses amis lui offraient la possibilité de fuir. Jusqu’au bout, jusqu’au 6 août 1942 où, drapeau juif en tête, il conduira le cortège qui le mènera avec ses enfants à la mort, Korczak ne semble exister que par et pour un but, la dignité humaine.
Vkjda nous montre ses pupilles jouer une pièce (interdite par les Nazis) de l’auteur indien Rabindranath Tagore, Le courrier, où l’on voit un enfant mourir en rêvant de courir par les champs; Korczak «prépare» ainsi psychologiquement ses enfants au sombre avenir que les adultes leurs préparent.
Au delà de la vérité historique et de la valeur strictement pédagogique de cette scène, Wajda nous offre là la clé de l’existence de Korczak — comme un symbole de la Pologne — et celle du film: par l’imaginaire, cet homme est peut-être parvenu à préserver sa part d’enfance, celle qui lui a permis de braver tous les dangers pour assurer la survie des siens… et de mourir pour eux en rêvant d’un avenir meilleur.
Pologne / France, 1990, noir et blanc, 1h43; programme n°2