«Korczak», en présence de Andrzej Wajda

    Caméra-stylo, programme n°2 |

      cameraStylo_2_WEB

        Andrzej Wajda

        Andrej Wajda, à 65 ans, est considéré comme le «père» du cinéma polonais d’aujourd’hui; un cinéma dont il assume moins une paternité stylistique que la responsabilité politique et morale. Dès la fin de sa sa formation à l’école de Cinéma de Lodz, en 1952, Wajda a signé plus d’une vingtaine de longs métrages, des films pour la télévision et plusieurs mises en scène de théâtre, traversant tant bien que mal toutes les crises et les soubresauts de l’histoire de la Pologne d’après-guerre. Certains disent, en Pologne, que «Dieu a créé le monde pour que Wajda puisse le filmer»… quand bien même cette phrase puisse prendre un sens ironique, Wajda s’est bien fait le cinéaste de la réalité polonaise, une réalité qu’il a su capter avec une grande pertinence. Si aujourd’hui Wajda incarne le «cinéaste officiel» de Solidarité, c’est sans doute qu’il a saisi avec une étonnante rapidité la valeur et les éclats de ce mouvement dans «L’Homme de fer», où il mêlait la fiction (comme une suite de «L’Homme de marbre», réalisé en 1976) avec le document pris sur le vif (à Gdansk, en 1980).
        Cet engagement aux côtés de Solidarité le poussera à démissionner, en 1983, de son poste de président de l’Union des ci­néastes polonais. Wajda ira travailler quelques temps en France où il tournera «Danton»… les accents de la Révolution françai­se résonneront sur l’écran de nombreux échos de la réalité polonaise. Car Wajda, que ce soit dans l’actualité — dans i’urgence — ou dans l’Histoire, n’a jamais cessé de filmer l’état de la Pologne, croisant le récit générique d’un peuple avec celui d’un individu.
        «Korczak», le film de son retour dans son pays après l’abolition du pouvoir militaire, est à cet égard exemplaire; le portrait d’un homme réel — l’éducateur, psychologue et écrivain polonais Janusz Korczak — pris avec «ses» enfants orphelins dans l’horreur du ghetto de Varsovie, figure l’Utopie d’un individu (pour le bien-être des hommes), confrontée à la réalité de l’Histoire.

        Janusz Korczak

        Né le 22 juillet 1B78 à Varsovie, Janusz Korczak (de son vrai nom Henryk Goldszmit) commence très jeune à écri­re. Puis il se tourne vers la médecine: «La littérature, ce ne sont que des mots; la médecine, des actes.», dit-il. Au cours de ses études, il revient pourtant à l’écriture; d’une visite des quartiers pauvres de Varsovie avec son ami le poète et ethnographe Ludwik Licinski, il tire un reporta­ge sur la vie misérable des enfants.
        Dès lors, il partage son existence entre l’écriture de ro­mans ou de feuilletons dénonçant les conditions de vie de l’enfance, de traités scientifiques sur l’éducation et la psy­chologie, et un énorme travail pédagogique qu’il effectue dans le cadre d’hôpitaux pour enfants. Il abandonne en 1912 sa carrière de médecin pour se consacrer, en compa­gnie de l’éducatrice Stefania (Stefa) Wilczynska, à la di­rection (bénévole) de la Maison des Orphelins, à Varsovie.
        Très influencé par les écrits de Pestalozzi, «père» de l’é­ducation moderne, et de Dawid, premier psychologue ex­périmental en Pologne, Korczack conçoit dès 1907 un certain nombre d’éléments de sa pédagogie: l’auto-nota­tion (les enfants s’attribuent eux-même une note en fonc­tion de leurs mérites), la création d’un journal décrivant les faits et gestes du groupe, l’instauration d’un tribunal d’enfants. Korczak cherche ainsi à développer le potentiel des enfants et leur autonomie, tout en leur épargnant, le plus longtemps possible, les injustices et les violences du monde adulte.
        Parallèlement à ses activités en faveur des orphelins, Korczak forme de jeunes éducateurs ouverts à ses mé­thodes. Continuant à écrire des livres, des articles, il de­vient même dès 1934 une vedette de la radio avec ses «petites causeries du vieux docteur».
        L’invasion allemande, en 1939, met un terme à ses acti­vités publiques… mais ne l’empêche pas de continuer son œuvre pédagogique au sein même du ghetto de Varsovie. Jusqu’à sa déportation au camp de Treblinka, en 1942, il enseigne, publie un journal mural, et préserve, tant que faire se peut, «ses» enfants de l’horreur de la guerre et de la Solution Finale.

        Un film urgent

        Il faudra dix ans à Andrzej Wajda pour que ce film sur Janusz Korczak voie le jour. Le scénario en a été écrit en 1982 par Agnieszka Holland, qui a signé plusieurs longs métrages en Pologne et par la suite en Europe de l’Ouest. En 1976, elle a inspiré à Wajda le personnage d’Agnieszka, la réalisatrice incarnée par Krysztina Janda dans «L’Homme de marbre». Elle a également écrit en ’78 le film de Wajda «Sans anesthésie».
        Dans l’impossibilité de faire ce film en Pologne, après la proclamation de l’Etat de guerre le 13 décembre 1981, Wajda a longtemps cherché à le tourner en anglais, avec une vedette américaine. Lorsque ses amis de Solidarité sont arrivés au pouvoir dans son pays, Wajda a alors déci­dé de faire ce film tout de suite, en Pologne.
        Une urgence que Wajda explique par la nécessité de parler des juifs et du ghetto de Varsovie «de l’intérieur»; en effet, depuis la rupture des relations diplomatiques entre son pays et Israël en 1968, ce type de sujet était interdit par la censure polonaise.
        En tournant très vite, en noir et blanc, Wajda a voulu, dit-il, renouer avec sa vision originelle du cinéma; c’est-à-dire avec une certaine candeur, une sincérité, voire la naïveté qu’il pouvait avoir à ses débuts, alors qu’il brûlait de raconter aux gens ce qui lui paraissait important.