«K.O. en 7 films !»

Caméra-stylo, programme n°67 |

Très rapidement, la boxe a séduit le cinéma, au point que le «noble art» est devenu un genre cinématographique — certes à une époque bien spécifique et exclusivement aux États-Unis. Très mutuelle, cette attraction a deux causes. Primo, la boxe constitue en soi une pratique qui, condensant suspense, théâtralité et, d’une certaine façon chorégraphie, ne pouvait que se faire désirer par le cinéma, art du mouvement. Secundo, les «stories» liées au milieu de la boxe ont un potentiel symbolique, voire politique, indéniable — le boxeur parti de rien qui devient champion du monde incarne le héros par excellence du modèle social américain.

Les boxeurs du Burlesque

A ce qu’il paraît, dès ses premiers tours de manivelle, le cinématographe des frères Lumière a restitué la geste typique du match de boxe, dont la pratique venait d’être réglementée. Quelques années plus tard, les cinéastes du Burlesque ont exploité jusqu’à satiété la puissance comique du noble art — et Max Linder le premier dans Max champion de boxe (1909). Le ring est alors devenu presque un lieu de passage obligé pour tous les grands comiques du Muet: Charlie Chaplin, Buster Keaton, Harold Lloyd, Fatty Arbuckle, etc… Ils y ont tous passé de façon mémorable!

Un genre à part entière

L’arrivée du parlant (dès 1927) va donner aux films de boxe l’indispensable soutien dramatique qui va lui permettre de constituer aux États-Unis un genre à part entière dans les années quarante et cinquante. Le «film de boxe» va dès lors subir deux sortes de traitements; soit il servira de «prétexte» à une description sociale accomplie sous le sceau du réalisme, soit il donnera matière à une représentation condensée et symbolique de la condition humaine dont les connotations politiques sont souvent évidentes — glorification du modèle de société américain où tout un chacun peut réussir, à force de volonté!

Le boxeur, héros américain

Le prototype de ce type de représentation «orientée» est sans conteste le célèbre Gentleman Jim de Raoul Walsh où Errol Flynn alias Jim Corbett assomme son adversaire au 21ème round et devient le premier champion du monde à avoir triomphé selon les règles établies par le marquis de Queensbury. Personnifiant le héros «optimiste» animé d’une confiance telle que rien ne peut lui faire peur, Jim Corbett trouvera quarante-quatre ans plus tard un lointain descendant sous les traits de Rocky/Stallone… l’humour et l’élégance en moins peut-être!

Les dessous du «noble art»

Les «films de boxe» donnant plutôt lieu à une description sociale vont se multiplier dans les années cinquante. En réaction au climat de suspicion généralisée suscité par le «maccarthysme», nombre de cinéastes vont «casser» le rêve de réussite qui donne au «noble art» une aura sociale irrésistible et complètement idéalisée. En révélant la face cachée de la boxe (corruption, misère morale, crapuleries de la mafia), des cinéastes comme Mark Robson avec Champion (1949) ou Robert Wise avec Nous avons gagné ce soir (id.) ou Marqué par la haine (1956), biographie romancée de Rocky Graziano joué par Paul Newman, font apparaître le «noble art» comme un signe patent du caractère illusoire de l’«american dream» qui passe dès lors pour une supercherie.

Scorsese et Visconti

Mais les «très» grands cinéastes ne se sont jamais résolus à séparer ces deux «manières» (description sociale et représentation symbolique) — c’est là même la preuve irréfutable de leur grandeur! Voilà pourquoi la boxe ne ressemble jamais plus à elle-même que dans les chefs-d’œuvre de Visconti (Rocco et ses frères, 1960) et Scorsese (Raging Bull,1980)… A la fois grandiose, dérisoire, humaine, inhumaine, horrible, splendide, sordide, sublime, etc..

Vincent Adatte