«Japon, version infernale»

Caméra-stylo, programme n°61 |

Que reste-t-il du cinéma japonais au jour d’aujourd’hui? Seul art occidental à s’être imposé au Pays du soleil levant, le cinématographe s’est rapidement adapté à cette culture «autre». Comme le prouve l’existence spécifiquement japonaise des «benshi» (littéralement «hommes parlants»), commentateurs professionnels des films muets, qui volaient la vedette aux acteurs de kabuki s’agitant sur les écrans — au point que le public venait plus pour écouter leur «benshi« favoris que pour voir des films. Forts de leur notoriété, les «benshi» ont pu empêcher durant plusieurs années le développement du cinéma parlant au Japon; le premier film parlant japonais a été tourné quatre ans après la sortie du premier film sonore américain projeté en octobre 1927.

L’âge d’or

Au sortir de la guerre, l’industrie cinématographique japonaise retombe vite sur ses pieds et connaît sa période la plus glorieuse. Six grandes compagnies se partagent alors le «gâteau commercial»: la Shoshiku, la Toho, la Toei, la Shintoho, la Daiei et la Nikkatsu. Dans le même temps, l’Occident découvre le cinéma d’auteur japonais surtout personnifié par Mizoguchi et Kurosawa qui, le premier, remporte un prix dans un festival occidental (Lion d’or à Venise en 1951 avec Rashomon), tandis que des cinéastes majeurs comme Ozu ou Naruse restent dans l’ombre. Dès 1953 la télévision apparaît au Japon et cause, du fait de son succès immédiat, de véritables ravages. Au début des années 60, l’industrie du cinéma japonais connaît un réel déclin.

Une nouvelle génération

Prenant acte de cet affaiblissement, une nouvelle génération de cinéastes prend alors son indépendance, s’autoproduit et réalise des films «libres» qui s’affranchissent de la tutelle des grandes sociétés — à la même époque, la France connaît le même phénomène avec la «nouvelle vague». Oshima, Shindo, Hani, Terayama, Kobayashi et Imamura constituent les fers-de-lance de ce courant indépendant passionnant, iconoclaste, qui, hélas, va rapidement manquer de moyens. Au jour d’aujourd’hui, des cinéastes immenses comme Oshima, Imamura (dont le dernier film, «L’Anguille», a remporté ex-aequo la Palme d’or du 50ème Festival de Cannes) et même Kurosawa peinent à faire financer leurs projets! Takeshi Kitano et Kohei Oguri constituent donc une heureuse exception… Profitons-en!

Vincent Adatte