Il était une fois en Anatolie


La Palme d’or au Festival de Cannes 2011 (ex-aequo avec «Le Gamin au vélo» des frères Dardenne) remportée par «Il était une fois en Anatolie» a retenti comme une surprise. Non pas que l’on ne crût au talent du poète, peintre et cinéaste turc, ce fascinateur multirécidiviste qui avait ému la critique internationale, à défaut du public, avec «Les Trois Singes» en 2008. Mais parce que présenté le dernier jour du festival, sans dossier de presse ni projection pour les professionnels, la plupart d’entre eux avaient déjà pris jets et trains retour, laissant l’œuvre de Nuri Bilge Ceylan dans la nuit.

C’est dans la nuit précisément que se déroule la première partie de cette épopée cinématographique, qui oscille entre errance réaliste et film de genre racé. Traînant derrière eux deux prisonniers menottés, un juge, un commissaire et un légiste arpentent la vaste campagne anatolienne à la recherche d’une scène de crime. Dans ce décor balayé par les vents, arbres, bâtisses et champs se succèdent et se ressemblent, mettant à rude épreuve la patience morne de la chevauchée. Les tableaux que dresse Ceylan tiennent tant du western – il le suggère au fer rouge dans un titre leonien – que du polar le plus essentiel: Dürrenmatt, Simenon, Mankell peut-être. Dans cette nature brute et parfois menaçante, le cinéaste sonde les âmes des hommes, capte leurs regards et leurs peaux emprunts de doutes, de certitude, d’angoisses et d’obstination. Grandiose démonstration de cinéma, une coupure de courant réveille les téméraires en proie au sommeil, et la lumière de redessiner progressivement le plan grâce à la bougie qu’apporte une jeune femme et dont la lueur survole les traits de la composition. Enfin, la découverte du cadavre ouvre le second volet du film. Le réalisateur décrit avec une acuité ironique les procédures de ces fonctionnaires de la mort qui abordent leur objet comme un boulanger son pain, oubliant parfois que pour leurs interlocuteurs, la victime était avant tout un être vivant.

Le ton avoisine ici la comédie, à la manière du nouveau cinéma roumain qui, de «La Mort de Dante Lazarescu» de Cristi Puiu (2006) à «Policier, adjectif» de Corneliu Porumboiu (2009), pousse avec une sincérité amusée la réalité dans l’absurde. Un film magistral, où le maître incontesté du cinéma turc actuel restitue la condition humaine avec une densité stupéfiante.

Bir zamanlar anadolu’da
de Nuri Bilge Ceylan
Turquie, Bosnie-Herzegovine, 2011, 2h37

à La Chaux-de-Fonds