de Carl Theodor Dreyer |
avec Nina Pens Rode, Bendt Rothe, Ebbe Rode, etc.
Dreyer a près de soixante-quinze ans lorsqu’il tourne ce qui constituera son dernier film; l’on peut s’attendre à une œuvre somme, oui, une manière de testament cinématographique témoignant de tout ce qui fut son génie artistique… Eh bien, cela ne sera rien de cela! Dreyer, toujours, approfondit, invente, renouvelle; à tel point que «Gertrud», aujourd’hui encore, c’est irrémédiablement «autre chose».
Comment aborder ce film à nul autre pareil? En cernant d’abord son paradoxe: Gertrud, cantatrice, se retire du monde parce qu’elle juge ses amours impossibles; à qui la faute? A ses exigences excessives, à l’égoïsme des hommes qui privilégient leurs carrières. Tel s’avère le paradoxe: Gertrud ne fait qu’obéir à sa nature, à son désir; pourtant, ce faisant, elle se rend inaccessible aux autres, et fait fuir la vie… c’est que «cette femme veut tout, donc trop…»
C’est peu dire que Dreyer restitue ce paradoxe en images et en sons… il nous le fait apparaître, littéralement! Adhérant à la révolte, féministe, de son personnage, tout en révélant les effets terribles qui en résulteront. Et par quels moyens Dreyer parvient-il à exprimer en toute limpidité ce drame intérieur, qui plus est contradictoire?
Par l’emploi du plan-séquence sans nul doute, seul à même de rendre dans un même mouvement le personnage et son devenir… un plan-séquence qui unit, désunit Gertrud et les hommes; qui, serrant imperceptiblement les protagonistes, révèle la vérité en train de sourdre sur les visages. Cette approche véridique soumet le temps à un régime fascinant: alors que nous observons Gertrud durant quelques jours, nous est accordée la sensation indicible d’avoir eu accès à toute une existence.
Se propage simultanément une lumière blanche, glaciale, mortelle, qui va en s’amplifiant; baignant bientôt les êtres et les choses dans un univers d’une pureté suffocante… C’est dans cette lumière inhumaine que Dreyer scande la disparition progressive de son héroïne; accomplissant la trajectoire que lui commandait son idéal.
Danemark, 1964, noir et blanc, 1h59; programme n°1
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