«Fragiles comme du cristal»

    Caméra-stylo, programme n°197 |

      Du 20 mai au 30 juin, Passion Cinéma se fait l’écho d’un printemps cinématographique dont les protagonistes révèlent toute leur fragilité, à travers dix films inédits… Des ménages à trois vacillent dans «Love Island» ou «A trois on y va». Des passions amoureuses se nouent et se dénouent avec «L’Ombre des femmes» et «Trois souvenirs de ma jeunesse». «Comme un avion» ouvre une parenthèse enchantée. Les amis, les familles et les couples se déchirent dans «Une Seconde Mère» et «Queen and Country», tandis que les travailleurs tombent sous «La Loi du marché». Quant à «The Farewell Party» et «Vice-versa», ils nous rappellent à l’inconstance de l’existence et des émotions. Autant de films à ne pas manquer!

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      Fragiles comme du cristal! Les heureux hasards de la programmation permettent à Passion Cinéma de consacrer son dernier cycle avant la pause estivale aux relations humaines, qu’elles soient amoureuses, professionnelles ou familiales. Au contraire des hercules de foire d’autrefois, dont on pouvait tâter la fermeté du biceps, le spectateur est invité à vérifier par le biais d’une dizaine de films remarquables l’extrême fragilité du lien qui nous cheville les uns aux autres. C’est sans doute un poncif que de l’écrire, mais, depuis toujours, le cinéma a eu pour vocation de rendre tangibles et palpables les attaches, longes, chaînes et laisses invisibles que nous nous ingénions à nouer et dénouer tout au long de notre vie émotive. Dispensée à coups de balles tirées à blanc en plein cœur du spectateur consentant, cette éducation par l’exemple constitue tout de même un phénomène très étrange, un excédent faramineux d’expériences fortes, qui nous permet d’emmagasiner moult sensations dont nous n’éprouverons sans doute pas le dixième dans la «vraie vie»!

      Des bancs d’essai providentiels

      Pris au piège par le dispositif de la projection, nous nous laissons volontiers marquer par ces bancs d’essai providentiels, oublieux du fait qu’il ne s’agit que de cinéma, sans savoir que la divine Greta Garbo, sur le conseil de son producteur et inflexible mentor Irving Thalberg, a mâché une gousse d’ail juste avant de tourner les scènes de baisers torrides de «Anna Karénine» (1935), histoire de tenir à distance l’acteur Fredric March que la star, manifestement, n’appréciait guère. Et plus les temps se font inquiétants et incertains, plus nous réclamons ce genre d’apprentissages par procuration. C’est là où la qualité et la sincérité du cinéaste font toute la différence. L’idée du cinéma n’est supportable que s’il nous donne en gage toute la complexité de l’existence, autrement il ne s’agit que de propagande ou de miroir aux alouettes bien astiqué, à l’instar des comédies certes divertissantes, comme «Intouchables» ou «Bienvenue chez les Ch’tis», qui ne retranchent de la réalité que ce qui rassure ou édifie ce si cher public!

      Toute l’amertume du réel

      «Fragiles comme du cristal», les cinéastes programmés par Passion Cinéma n’appartiennent pas à cette catégorie de faiseurs de mirages chatoyants, qui trompent si joliment leurs proies pour mieux faire sonner leur tiroir-caisse. Même s’ils espèrent que leurs films soient vus et donc ne méprisent en aucun cas le succès, ils n’en font jamais un but en soi, à l’image d’un Garrel dont le chassé-croisé amoureux de «L’Ombre des femmes» se pare de toute l’amertume du réel, qui plus est, en essayant «d’aller vraiment voir ce qui se passe du côté des femmes». Idem pour un Stéphane Brizé et sa «Loi du marché», qui plonge Vincent Lindon dans l’univers hélas impitoyable du travail, où tout ce qui faisait lien autrefois est en train de se déliter de façon inéluctable, sans oublier Arnaud Desplechin et sa vision tourmentée, indécise du destin («Trois souvenirs de ma jeunesse»), pour ne citer que ces trois-là… Allez, bonnes vacances d’été à celles et ceux qui en prennent!

      Vincent Adatte