«Féminin pluriel»

Caméra-stylo, programme n°142 |

Quoi qu’on marmonne, programmer un cycle exclusivement composé de films de femmes consiste encore et toujours à corriger une injustice, ce qui revient à écrire désespérément que l’équité pour les réalisatrices demeure toujours de l’ordre de la fiction. A l’instar du football, le cinéma vit toujours sous l’emprise de l’imaginaire masculin. Comme par hasard, les statistiques manquent pour déterminer la mesure du fantasme de la parité dans le domaine cinématographique. Une étude récente montre que les femmes cinéastes québécoises réalisent 23% des productions subventionnées par la belle province avec 14% de l’enveloppe budgétaire totale! Autre statistique «sauvage», en compulsant la catalogue plutôt exhaustif des films suisses réalisés en 2006, le lecteur compte et recompte mais constate que seuls 20% des 94 films de fiction produits cette
année-là ont été tournés par des réalisatrices! La lutte est d’autant plus ardue que les femmes cinéastes européennes ont choisi la voie de l’intégration au sein d’une industrie cinématographique qui, des producteurs aux critiques, ne reconnaît pas l’appartenance sexuelle des auteurs comme un critère valable. Dans le cas du cinéma, comme dans beaucoup d’autres domaines culturels, l’adjectif universel reste toujours un synonyme de «masculin».

Sous emprise masculine

Il y a donc comme un hic, surtout lorsqu’on nous apprend que la fameuse FEMIS semble privilégier les candidates. A l’heure actuelle, 60% des élèves appartiennent au soi-disant sexe faible. Mais comment se fait-il que cette armada salvatrice semble fondre comme neige au soleil après la difficile épreuve du premier long-métrage? A nouveau, les outils d’analyse font défaut pour expliquer ce phénomène navrant. Environ 20% des jeunes cinéastes actuellement en exercice en France sont des femmes et ces dernières n’ont souvent pas assez de mots pour décrire la misogynie d’un milieu qu’elles ressentent à raison comme hostile. Malgré quelques progrès en la matière, le cinéma (et l’audiovisuel en général, sans parler des jeux vidéos) continue donc à projeter sur les femmes les nostalgies fumeuses de l’homme… L’ennui, c’est que l’on ne s’en offusque même plus! Il urge donc de répéter qu’un film comme «Lady Chatterley» est à prendre comme un véritable événement! Advient alors l’habituelle question «tarte à la crème»: existe-t-il vraiment un cinéma «au féminin» et, si oui, comment le caractériser?

Matériel léger et équipe réduite

Sur le plan logistique, les réalisatrices privilégient plutôt le matériel léger, travaillent avec une équipe réduite qui ne les contraint pas à se métamorphoser en sergent-major. La plupart d’entre elles œuvrent aussi avec des budgets restreints, certaines pour conserver leur indépendance, d’autres parce que les décideurs masculins ne leur font pas confiance. A ce jour, les superproductions réalisées par des femmes se comptent sur les doigts d’une main, et encore! De toute manière, le «block-buster» et ses exigences de record semblent une obsession typiquement masculine… Sur le plan thématique, les réalisatrices ont à cœur de concevoir des personnages féminins qui rompent avec les stéréotypes de la féminité véhiculés et revendiqués par la majorité de leurs confrères. C’est sans doute pour cette raison qu’elles se vouent principalement à la fiction. D’aucuns y voient comme une mise en abîme de leur propre condition… C’est hélas un peu vrai.

Vincent Adatte