«Deviens qui tu es!»

    Caméra-stylo, programme n°208 |

      Du 16 novembre au 27 décembre, Passion Cinéma présente pas moins de dix films qui abordent chacun à leur manière la quête d’autonomie ou son contraire: la disparition du libre-arbitre… De la vocation de «Polina, danser sa vie» aux célébrations poétiques dans «Paterson» ou surnaturelles dans «Personal Shopper», en passant par les résiliences de «Louise en hiver», «Tour de France» et «Tanna», sans oublier la lutte contre la compromission dans «Ma’ Rosa», «La Fille de Brest», «Le Confessioni» et «Baccalauréat», les films d’auteur sont décidément les plus libres… Et en marge de cette programmation abondante, ne manquez pas les séances en présence des réalisateurs de «Jean Ziegler» et «Seul dans Berlin»!

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          En janvier prochain, le journal de Passion Cinéma va connaître une mue graphique et rédactionnelle importante qui, nous l’espérons, réjouira autant les rétines que le cerveau de ses lecteurs. Partant, c’est l’ultime chronique «caméra-stylo» à paraître sous cette forme et cet intitulé, la centième ou presque. Trêve de ratiocination nostalgique, le dernier cycle de films labellisés Passion Cinéma de l’année convoque des personnages qui, pour la plupart et à divers titres, manifestent à un moment ou à un autre leur volonté d’émancipation, de changement, d’autonomie ou tout simplement de lâcher prise, à l’instar de la protagoniste âgée du merveilleux film d’animation de Jean-François Laguionie, «Louise en hiver».

          Triomphe de la subjectivité

          L’affirmation de soi, notre prétention à exercer notre subjectivité, à revendiquer «une vie personnelle», comme l’a écrit le philosophe Peter Sloterdijk dans son dernier ouvrage, constituent les éléments forts de notre modernité. Ces derniers ont été forgés au cours du dix-neuvième siècle. Ce n’est donc pas un hasard si ce siècle-là a accouché in fine du cinéma, l’invention la plus achevée pour faire de l’individu le héros suprême, auquel on s’identifie immédiatement, parce qu’il rompt avec la norme et se détache de la masse, certes parfois en payant le prix fort. Ce geste prométhéen est devenu une véritable matrice narrative, dont la fécondité semble sans limite, à voir le nombre de films qu’elle a généré et qu’elle génère encore. «Polina, danser sa vie», flanqué de sa jeune héroïne qui tourne le dos au glorieux Bolchoï pour assouvir son désir d’indépendance, en est un nouvel exemple consacré.

          Les masses ne sont pas héroïques

          Les rares tentatives d’échapper à cet éloge généralisé, mais parfois critique, de l’individualité, ont échoué. Faits au moule du léninisme, les premiers grands films de l’ère soviétique se sont efforcés d’héroïser les masses révolutionnaires. Comme en témoigne l’insuccès populaire que rencontrèrent des chefs-d’œuvre comme «La Grève» (1924) ou «Le Cuirassé Potemkine» (1926) d’Eisenstein, il est difficile de s’identifier à un collectif. La foule soi-disant traitée comme un personnage peine en effet à susciter l’empathie, comme si l’on pressentait d’emblée la manipulation. Fervent admirateur de Charlot, Staline le comprit très vite, en faisant du modèle du héros positif la pierre angulaire de son fameux réalisme socialiste.

          Les limites de l’exercice

          Entièrement, ou presque, dévolu à la représentation de «la vie personnelle», le cinéma a puissamment accéléré la diffusion dans les esprits de l’idée, très valorisante, de subjectivité. Avec l’accès facilité et personnalisé aux nouvelles techniques d’enregistrement des images, nous croyons être aujourd’hui en mesure de passer à un stade supérieur: réaliser par nous-mêmes le film de notre vie. Une installation de la dernière édition du festival Images de Vevey a rappelé les limites de l’exercice, par le biais d’un logiciel ironique, qui indique combien de fois la photo ou le film que nous sommes justement en train de prendre ou tourner a déjà été fait. Selon les lieux, cela se chiffre à des milliers de prises de vue… Vous avez dit «triomphe de la subjectivité»?

          Vincent Adatte