«Concours de circonstances»

    Caméra-stylo, programme n°187 |

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      «Concours de circonstances»! Livré sans autre forme de procès au lecteur, le titre de notre premier cycle passionné de l’année 2014 peut sembler un brin sibyllin. Cet intitulé a pourtant maille à partir avec le cinéma dans ce que ce dernier a de plus profond. A proprement parler, cette expression désigne un ensemble de circonstances qui contribuent de façon non planifiée à quelque chose, un hasard (heureux ou non). De fait, sans le hasard, la vie serait terriblement ennuyeuse, et plus encore les films censés nous la restituer. Partant, l’on peut affirmer sans ambages que le «concours de circonstances» constitue le principe actif de la plupart des fictions cinématographiques, à la précision près qu’il est savamment planifié dès l’écriture du scénario.

      Planifier le hasard

      Pour Alfred Hitchcock, cela ne faisait pas un pli: la pauvre Marion n’aurait-elle pas roulé toute la journée sous une pluie battante qu’elle ne se serait peut-être pas arrêtée, épuisée, au motel de «Psychose» tenu par qui on sait; idem pour le paisible publicitaire Roger Thornhill pris pour un autre et impitoyablement pourchassé dans «La Mort aux trousses», juste parce qu’il est passé dans le hall de son hôtel au mauvais moment. A en croire Hitchcock, expert en la matière, tout réside dès lors dans l’art de dissimuler sous un vernis de vraisemblance ce «concours de circonstances», qu’il faut donc éviter à tout prix de porter sur les fonts baptismaux si l’on veut simplement divertir et émouvoir le spectateur. C’est ce que parvient à faire à la perfection le réalisateur Jason Reitman dans «Last Days of Summer», au point que le spectateur ne s’interroge jamais sur les menus incidents qui entraînent la rencontre imprévue au centre de cette œuvre étonnante.

      «Incidents soudains»

      Remarquable film à costumes, «Mary Queen of Scots» ne pratique pas ce genre de camouflage. Thomas Imbach ne peut ni ne veut en effet faire mystère du «concours de circonstances» qui projette sa protagoniste hors du destin exceptionnel dont elle rêvait, parce qu’il est l’Histoire même. «A Touch of Sin» encore moins! Ce chef-d’œuvre tourmenté relie entre eux quatre faits divers que les Chinois appellent de manière révélatrice «tufa shijian», littéralement des «incidents soudains», lesquels voient des individus poussés à bout basculer subitement dans une violence extrême. Loin de vouloir dissimuler sous les oripeaux rassurants du hasard les relations de cause à effet déclenchant ces passages à l’acte, le cinéaste Jia Zhangke n’a de cesse d’en révéler l’origine, à savoir l’alliance monstrueuse du capitalisme et du communisme.

      Au cœur du documentaire

      «Le concours de circonstances» est aussi au cœur de la pratique documentaire, mais d’une toute autre façon. Tout documentariste qui se respecte sait qu’il ne peut planifier l’imprévu pour une raison d’éthique. Par contre, il se doit de le recueillir quand il advient et fait événement. C’est pour ne pas avoir respecté cette déontologie qu’un film «préparé» comme «Sur le chemin de l’école» s’avère si insupportable. Bien heureusement, tant Mano Khalil avec «L’Apiculteur» («Der Imker») que Kaveh Bakhtiari avec «L’Escale» s’y sont astreints et ont ainsi laissé le réel advenir avec, à la clef, des séquences littéralement «inconcevables» que seul l’exercice d’un véritable regard documentaire est à même d’engendrer.

      Vincent Adatte