Carnage

C’est confiné dans son beau chalet de Gstaad, en attente d’une possible extradition, que Roman Polanski a peaufiné le scénario de «Carnage». Traversée par une ironie assassine, cette adaptation d’une pièce de Yasmina Reza intitulée «Le roi du carnage» reflète bien ce que devait être l’état d’esprit du réchappé du ghetto de Cracovie, astreint à résidence par nos autorités un brin piégées! La première scène du film montre en plan général un groupe d’enfants dans un parc de Brooklyn. L’un d’entre eux se saisit soudain d’un bâton et, bing, casse deux dents à un autre…

Par le truchement d’une ellipse de lieu et de temps, l’indispensable réalisateur de «Cul-de-sac» nous montre tout de go les parents bien éduqués des deux mômes qui règlent l’incident à l’amiable, histoire de convenir aux assurances. Nous sommes dans l’appartement cossu de Penelope (Jodie Foster) et Michael (John C. Reilly), les géniteurs aisés de la «victime». Dans la vie, Michael dirige benoîtement une entreprise de sanitaires, alors que Penelope écrit des livres engagés à propos de l’Afrique, notamment sur la terrible tragédie du Darfour. Ils diffèrent donc un brin des parents du «coupable». Alan (Christopher Waltz) est avocat et défend les intérêts de grandes entreprises pharmaceutiques peu regardantes sur l’effet de leurs médicaments, alors que Nancy (Kate Winslet) œuvre comme courtière dans l’univers impitoyable de la finance!

Très amènes, Alan et Nancy semblent donc prendre leurs responsabilités. Alors qu’ils s’apprêtent à prendre congé, Michael les retient cordialement «pour un café». Au gré d’une conversation entamée pourtant de manière fort civile, le vernis fragile de la bienséance se craquelle peu à peu à la faveur d’infimes incidents: un reste de clafoutis indigeste, du coca tiède, un portable qui sonne sans relâche. Les uns et les autres finissent par se jeter à la tête ce qu’ils pensaient tout bas. Les couples eux-mêmes n’y résistent pas et font étalage de leur malaise conjugal! Au terme de ce jeu de massacre intégral, qui tourne parfois un peu au procédé, chacun en aura pris pour son grade et l’on reverra en plan général le groupe d’enfants dans le parc. Avec la lucidité mordante qu’on lui connaît, Polanski leur donne le dernier mot…

de Roman Polanski
France / Espagne / Pologne / Allemagne, 2011, couleur, 1h20

à voir à Neuchâtel