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En sept long-métrages, le cinéaste français Bruno Dumont est devenu l’un des réalisateurs les plus singuliers du moment, accomplissant une synthèse stupéfiante entre le réalisme physique d’un Maurice Pialat et la spiritualité intense du regretté Robert Bresson. D’une exigence rare, ses films font un peu peur et sont dès lors distribués par à-coups sous nos latitudes. C’est pourquoi, il nous faut absolument nous précipiter à l’ABC pour découvrir «Camille Claudel 1915», sans nul doute l’un des plus beaux films de l’année!
Juliette Binoche ne craint pas d’en appeler aux metteurs en scène les plus intransigeants avec leur art de Michael Haneke à Hou Hsiao-Hsien en passant par Abbas Kiarostami en passant par David Cronenberg. Cette fois l’actrice a approché Bruno Dumont avec, à l’esprit, la destinée douloureuse de Camille Claudel (1864-1943). Répondant à son attente, le réalisateur de «Flandres» (2006) lui a écrit un scénario implacable, tiré de la correspondance que l’infortunée Camille a entretenue avec son frère Paul pendant l’année 1915.
Internée à la demande de sa propre famille depuis 1913, la sculptrice de génie a été déplacée en février 1915, à cause de la guerre, dans l’asile d’aliénés de Montdevergues, près d’Avignon. C’est là que nous la découvrons, pendant quelques jours, dans l’attente insupportable de la visite de son frère, le grand écrivain tant admiré. Amaigrie, démaquillée, Juliette Binoche lui prête ses traits de façon inoubliable. Par le biais de champs-contre-champs d’une pertinence douloureuse, Dumont confronte sa protagoniste aux autres pensionnaires bien plus atteintes de l’établissement (jouées par de vraies malades mentales), exacerbant son sentiment d’isolement et sa paranoïa, d’autant que les infirmières lui réclament fréquemment son aide.
Après une scène de promenade de groupe d’une force inouïe, quelque chose comme la vie nue, Dumont nous sépare subitement de Camille pour nous rapprocher de Paul sur le point d’arriver à Montdevergues en automobile. En quelques plans, il dévoile alors sa démence, au point que l’on se demande qui est le plus fou du frère ou de la sœur! Seulement voilà, Paul prétend se sauver par la foi, la sainteté. Dans la rencontre tant espérée qui s’ensuit, il n’aura pourtant aucune compréhension pour Camille, comme si elle représentait un danger, restant sourd à la recommandation du vieux psychiatre qui lui conseille de lui rendre sa liberté. Le carton qui clôt ce chef-d’œuvre dépouillé de tout artifice laisse sans voix, même si l’on connaissait déjà l’histoire.
de Bruno Dumont
France, 2013, 1h35