Balada triste de trompeta

Rien n’est plus propice à réveiller les vieux démons de l’Histoire qu’une dose démesurée de kitsch et de grotesque. Cinéaste «transgenre» et frondeur extrême, le Basque Alex de la Iglesia l’a bien compris, et autant dire qu’il ne craint pas la polémique! Sorti en décembre 2010 en Espagne, son neuvième long-métrage a suscité dans la péninsule Ibérique une sacrée controverse par sa manière sauvage de revisiter un passé encore très sensible. Pour on ne sait quelle raison, les distributeurs francophones ont abrégé le titre de ce film certes dérangeant mais combien passionnant. «Balada triste de trompeta» commence par un prologue qui nous renvoie à la fin de la guerre civile. Alors que les franquistes assiègent Madrid, les forces républicaines recrutent de force une troupe de cirque dont un clown réputé pour sa drôlerie. Armé d’une machette, ce dernier se métamorphose subitement en une véritable furie et massacre allègrement moult nationalistes. Payant cher ce numéro sanguinaire, le pitre est arrêté et condamné aux travaux forcés par l’ennemi triomphant. Mortifié, il laisse à son fils Javier le soin impératif de le venger…

Un brin médusé par cette entrée en matière, le spectateur retrouve le fiston en 1973, soit deux ans avant la mort de Franco. Devenu clown comme son père, Javier travaille dans un cirque régenté par Sergio, un Auguste autoritaire et cruel qui traite de façon abominable la trapéziste Natacha, profitant sans vergogne de sa tendance au masochisme. S’instaure alors sur la piste et dans les coulisses un triangle amoureux suintant le malaise et le ressentiment… Avec son baroquisme excessif coutumier, le réalisateur de «Acción mutante» et du «Crime farpait» tisse une allégorie désespérante qui règle leur compte aux zélateurs de la résilience pure comme la blanche colombe. Adepte d’un cinéma sale, régressif et pulsionnel, De la Iglesia trouve dans l’univers forain les rictus qui font tomber le masque des idéalistes, restituant à l’Histoire sa réalité nue: un tumulte insensé dont il est bien ardu de séparer le bien du mal. Maniériste génial, ce cinéaste qui a l’humour triste emprunte pour parvenir à ses fins autant à Luis Buñuel qu’à Alfred Hitchcock, dont il pastiche le final de «La mort aux trousses». C’est ainsi qu’il oppose ses protagonistes dans une lutte sans merci parmi les statues géantes du mausolée néoclassique de Los Caídos, là où repose Franco et ses victimes de tous bords!

de Alex de la Iglesia
Espagne/France, 2011, 1h47

à Neuchâtel