«Y a bon cinéma!»

Caméra-stylo, programme n°99 |

«Y a bon cinéma!»… Parodiant un slogan publicitaire qui vantait dans les années cinquante les bienfaits d’une boisson cacaotée, l’intitulé du premier cycle de l’année 2002 n’est bien évidemment pas à prendre au premier degré (encore que…). Disons plutôt qu’il met en lumière l’esprit un brin «critique» qui a guidé le choix des huit films présentés en guise de complément à une exposition passionnante de la Bibliothèque universitaire publique de Neuchâtel – consacrée aux explorateurs, voyageurs et savants à la découverte des richesses intérieures de l’Afrique et l’Amérique du Sud.

Une catastrophe planétaire

C’est devenu presque un truisme que de savamment énoncer que la colonisation, produit dérivé de la tradition des «voyages d’exploration» chers à Humboldt et à Charcot, a fait beaucoup plus de mal que de bien… Encore faut-il cerner les causes profondes de cette «catastrophe» qui a sonné le glas de la plupart des cultures autres que la nôtre; nous détenons désormais et de façon irrémédiable le monopole de l’industrie culturelle, du savoir – un exemple frappant parmi d’autres: le 73% de la production des livres est assuré par les pays dits occidentaux. Inventé à la fin du XIXe, autrement dit, au moment où moins de 10% de la surface du globe échappe à la main-mise de l’Occident, le cinéma, art prétendument universel (il l’est effectivement devenu, mais par la force des choses), a incarné, du fait de son succès planétaire, le triomphe ultime de ce processus hégémonique sans précédent!

Triomphe du cinéma

Dès 1896, les frères Lumière, relayés par la firme Pathé, dépêchent des opérateurs dans le monde entier. En plus de montrer les films «fondateurs» de la firme aux foules enthousiastes, ces pionniers tournent aussi sur place des «vues». La caméra Lumière faisant aussi office de tireuse et de projecteur, il leur est possible de les projeter dans les jours qui suivent à des spectateurs locaux émerveillés de découvrir leur environnement familier sur des écrans de fortune. Partant, l’uniformisation des regards est en route… Par chance, des artistes vont se substituer aux techniciens de la première heure (dont certains étaient certes très doués) et «pervertir» cette invention scientifique en glissant dans la ronde endiablée des photogrammes de plus en plus de subjectivité – aujourd’hui, c’est la télé qui a pris le relais du fantasme d’objectivité et d’hégémonie du regard lié aux débuts du Cinématographe.

Rétablir l’équilibre

Parmi ces artistes, ces créateurs, qui nous ont sauvés de l’uniformisation des regards, se sont peu à peu immiscés des anciens «colonisés». S’emparant de l’outil cinématographique, ceux-ci ont commencé à témoigner avec talent contre la pseudo universalité de la culture occidentale en faisant resurgir des pans entiers de mémoire dans un paysage souvent en ruines. Dans le même temps, certains cinéastes occidentaux, honteux ou nostalgiques, ont voulu constater l’étendue des dégâts «irréversibles»… Ce sont les films des uns (Solanas, Peck, Kaboré, Diop, Doukouré, Cuarón) et des autres (Eisenstein, Schrœder) que Passion Cinéma vous invite à voir ou à revoir…

Vincent Adatte