«Vive la dépendance!»

Caméra-stylo, programme n°96 |

Le titre du cycle d’automne de Passion Cinéma est bien sûr un brin provocateur; son ironie voulue n’a d’autre but que d’attirer l’attention du lecteur sur le fait suivant: cela ne sert à rien de diaboliser le phénomène de dépendance, car celui-ci, aussi terrible soit-il, relève de notre plus profonde humanité – il en constitue même l’un des mécanismes les plus paradoxaux! Le reconnaître comme part intégrante de notre existence, certes à des degrés divers, tient du devoir de lucidité.

La vie même

Drogue, affect, sexe, bouffe, alcool, jeu, travail, douleur, beauté, dépense physique, voyeurisme, etc… Il suffit de passer en revue tout ce qui pourrait être susceptible de nous mettre un jour ou l’autre en état de dépendance, pour se confronter à ce que nous avons de plus vivant en nous: la joie, le malheur, le rêve, la jouissance, les sens, etc.. C’est pourquoi, sans doute, les films qui traitent d’une façon ou d’une autre du thème de la dépendance nous apparaissent comme bien plus réels que les autres, comme s’ils étaient la vie même! Signifiant notre incomplétude quasi originaire, ils nous réconcilient un peu avec nous-mêmes, aussi désespérant soit le tableau – en cela la fin du sublime et par trop méconnu «Comme un chien enragé» (James Foley) vaut peut-être toutes les thérapies du monde!

Le cinéma aussi

Si les cinéastes dignes de ce nom se sentent parfaitement aptes à décrire les spirales infernales du jeu, de l’alcool, du sexe ou de l’amitié, c’est qu’ils sont pleinement conscients du fait que le cinéma est lui-même source de dépendance, dans le sens où il peut passagèrement et très facilement exaucer nos vœux secrets de spectateur – être un héros, faire l’amour à la plus belle femme du monde, etc.. Sitôt rendus à la réalité, nous ne sommes bien évidemment plus en mesure de réaliser ces désirs infantiles. Voilà pourquoi, à la première occasion, nous retournons au cinéma, à l’instar de la Cecilia de «La Rose pourpre du Caire».

Seul Hitchcock

Tous les grands cinéastes se sont donc escrimés à révéler dans leurs chefs-d’œuvre la part maudite, manipulatrice, du cinéma, tout en rendant grâce à ce pouvoir, d’où une certaine ambivalence. Ce n’est pas un hasard si les «psy» de la fin du 19ème ont vite dénoncé le caractère illusionniste du cinématographe en des termes très vifs – ils étaient encore trop positivistes pour louer l’effet bénéfique des sutures de l’imaginaire! C’est Alfred Hitchcock qui est allé le plus loin dans la manipulation du spectateur (à notre insu, de notre plein gré); son art fameux du suspense constituant la forme la plus extrême de dépendance au cinéma. «Psycho», où, entre autres, il fait mourir l’héroïne (interprétée de surcroît par une star hollywoodienne) au bout de vingt minutes, est de ce point de vue l’œuvre limite: au-delà, plus de cinéma (classique) possible!

Une offre diversifiée

De Martin Scorsese à Woody Allen en passant par David Lynch, Alfred Hitchcock et François Ozon, Passion Cinéma nous met dans tous nos états (de dépendance). Comme nous le verrons, il n’y a pas que l’alcool pour pallier notre profonde inaptitude à vivre la vie dont nous rêvons!

Vincent Adatte