«The French Touch»

Caméra-stylo, programme n°126 |

Sans la France, le monde du cinéma serait différent. Patrie des frères Lumière et de Méliès, ce pays est le premier à avoir considéré le cinéma comme un art. Partant, il s’est efforcé de résister un tant soit peu à la tentation industrielle, contrairement aux Etats-Unis où prédomine depuis toujours l’obligation de rentabilité. Hollywood incarne ce système financé par l’argent privé des grands studios (les Majors) qui imposent leur griffe stéréotypée. S’il y a des exceptions, on les doit à des mécènes désintéressés, à des cinéastes doués pour la ruse ou à des nababs rebelles comme le fut «l’aviateur» Howard Hugues en son temps. En France, investisseurs publics et privés (comme les chaînes de télévision) collaborent mutuellement. L’Etat joue cependant un rôle clef dans la production des films, à la fois par l’octroi de subventions directes et la création de différentes structures bancaires spécifiques qui permettent aux producteurs de monter leurs projets. Résulte de cette alliance (contre-nature selon certains) le principe, vital, de l’exception culturelle qui préserve l’idée du cinéma considéré comme un art et permet aux films d’auteur de co-exister avec les productions de consommation courante à la Luc Besson.

L’exception culturelle

Si l’Etat français se permet d’aider le cinéma, c’est qu’il peut remplir ses caisses grâce aux avances sur recettes (le succès d’un film soutenu permettant d’en financer d’autres) et à un système complexe de taxes prélevées sur les billets d’entrée. Grossièrement résumé, on dira que les superproductions hollywoodiennes contribuent au financement du cinéma d’auteur. En regard du nombre de films produits dans l’Hexagone, ces mesures protectionnistes semblent efficaces et ont fait école dans d’autres pays européens. Des auteurs aussi essentiels qu’Almodovar, Kusturica, Wong Kar-Wai ou Angelopoulos ont pu aussi en bénéficier par le biais d’un habile système de coproductions. Pour obtenir l’aide de l’Etat, un film doit avoir l’agrément d’une commission. Celle-ci vérifie son identité française qui se définit par la provenance de ses financements et la présence d’un certain nombre de ressortissants tricolores au sein de l’équipe de tournage. Bien que tourné en grande partie aux Etats-Unis et à Londres, avec des acteurs chinois et américains, «Clean» d’Olivier Assayas a été considéré comme un film français, car il répondait aux critères exposés ci-dessus.

Une décision courageuse

Heureusement, cela n’a pas été le cas du film de Jean-Pierre Jeunet, «Un long dimanche de fiançailles», et de la nouvelle comédie interprétée par Josiane Balasko, «L’ex-femme de ma vie», qui n’ont pas reçu l’agrément, malgré une équipe de tournage et une distribution presque entièrement française. De fait, ces deux titres ont été produits par la Warner, via sa filiale française qu’elle contrôle et finance de A jusqu’à Z. Cette décision, courageuse, n’a pas manqué de susciter les réactions les plus vives. Mais elle a permis d’éviter de créer un précédent dont les conséquences auraient pu être catastrophiques. Outre un véritable scandale (un studio hollywoodien financé par l’Etat français), elle a paré un coup très stratégique qui, à long terme, aurait tout simplement réduit à néant le régime salvateur de l’exception culturelle.

Frédéric Maire