«Là-haut sur la montagne»

Caméra-stylo, programme n°107 |

2002 aura été l’année de la montagne. Sous l’égide des grandes organisations internationales, les manifestations les plus diverses se sont multipliées pour mettre en perspective les cultures des peuples qui vivent en altitude. Lesquels constituent pour la plupart des minorités qui sont le plus souvent en butte à divers types de répression (économiques, politiques, racistes, etc..). Staline qui a fait systématiquement descendre en plaine les montagnards du Caucase en connaissait un bout sur la question – pour tout renseignement complémentaire, adressez-vous aux Tcherkesses (Circassiens), Karbades, Ossètes et autres Ingouches!

Sur le mode de la fiction

En Suisse, l’une des contributions les plus intéressantes à la célébration de cette année de la montagne est due à trigon-film qui, en collaboration avec d’autres distributeurs helvétiques, a mis sur pied une “anthologie” du film de montagne qu’elle fait “tourner” autant que possible dans notre pays. Parmi les vingt films proposés, Passion Cinéma en a sélectionné huit qui vont nous entraîner aux quatre coins du monde (Tibet, Chine du Nord, Dolomites italiennes, Corée du Sud, canton d’Uri, Japon). Dissipons tout malentendu, ces œuvres de très grande qualité ne relèvent pas à proprement parler du “film de montagne”, qui a constitué chez nous (et nos voisins allemands et autrichiens) un genre cinématographique très spécifique, mais s’attachent plutôt à décrire sur le mode de la fiction – à une exception près – les us, mythes et coutumes (en péril) des peuples montagnards.

Un genre dévoyé

Avant de monter rejoindre du regard ces peuplades frustres et superstitieuses (comme l’écrivaient nos écrivains voyageurs du XIXe siècle), faisons un sort au “film de montagne”. En 1921, l’ex-géologue rhénan Arnold Fanck tourne dans le massif du Mont-Rose “En lutte contre les montagnes” avec le concours du champion olympique de ski allemand Hannes Schneider. Inspiré par la beauté encore inédite des images, le compositeur Paul Indenmith compose une partition que les orchestres de cinéma refusent de jouer (trop complexe!). L’essai de Fanck suscite de multiples imitations – “Sortilège de la Blümlisalp” (1921), “La croix du Cervin” (1922), “L’appel de la montagne (1923), etc. – avant d’être récupéré par les cinéastes nazis qui feront du film de montagne un de leurs genres de prédilection… Avec l’impayable Leni Riefensthal en tête de cordée! Innombrables seront alors les surhommes de race aryenne à gravir les plus hautes cimes, dont les sbires de Goebbels iront filmer les exploits idéologiques jusqu’en Himalaya!

Actes de résistance

En ce qui nous concerne, il s’agit plutôt d’un mouvement de résistance: qu’ils soient iraniens, chinois, coréens ou japonais, les cinéastes qui vont tourner leurs films en région de montagne le font souvent pour faire échec aux impérialismes de tout poil (politiques économiques, religieux, etc.). Ainsi les réalisateurs chinois de la “cinquième génération” sont retournés dans les montagnes – où la Révolution culturelle les avait consignés quelques années auparavant – pour filmer les coutumes “scandaleuses” des ethnies minoritaires “baillonnées” par le maoïsme. Prendre de la hauteur pour manifester avec les moyens du cinéma son opposition à la pensée unique qui arase et nivelle tout sur son passage, tel est le but avoué ou non (cela dépend de la censure), mais en tous les cas désespéré, des Imamura, Tian Zhuangzhuang et autre Farhad Mehranfar.

Vincent Adatte