«Ciné ciné Cinecittà!»

Caméra-stylo, programme n°105 |

L’Italie s’est choisi en mai 2001 comme Président du Conseil Silvio Berlusconi, l’omnipotent patron du plus important groupe de médias italiens (Mediaset) – soit la moitié de l’audience nationale… Exit la démocratie, vive la “médiacratie”! Pour la première fois de notre histoire, les médias semblent en effet en mesure d’annexer les institutions et les instruments de la politique, mettant fin ipso facto à la séparation des pouvoirs garante de notre système démocratique. Vers la fin de sa vie, Fellini le visionnaire s’inquiétait à juste titre d’une nouvelle forme de censure offerte au téléspectateur nanti de sa télécommande: “un spectateur tyran, despote absolu qui fait ce qu’il veut avec les images des autres et se persuade de plus en plus que le cinéaste c’est lui”… Cette définition alarmiste du zappeur-roi vaut toujours, mais le fait inquiétant est qu’elle pourrait désormais s’appliquer à un seul homme – Berlusconi pesant de tout son poids sur la pauvre télévision publique.

Moretti entre en résistance

Partant, il y a vraiment péril en la demeure cinématographique. Le cinéaste est menacé dans sa fonction même de médiateur. Ultime avatar du donneur d’oracle, du chaman ou du devin, nous aurions pourtant plus que jamais de son aide pour nous guider dans le chaos des signes et des écrans, pour faire émerger un peu de sens dans le vacarme “soft” produit par une info soi-disant instantanée et aussitôt corrompue par manque de recul. Si l’on n’y prend garde, voir un film d’auteur en entier et jusqu’au bout tiendra bientôt d’une pratique d’excentrique! Voilà qui explique pourquoi, fait rarissime dans l’histoire du cinéma italien, un cinéaste a pris sur lui d’être le héraut d’un mouvement “citoyen” rassemblant il y a peu plus d’une centaine de milliers de personnes dans les rues de Rome. Qu’il s’agisse de Nanni Moretti, réalisateur réputé pour sa stricte observance de la règle, sublime (et hélas de moins en moins suivi, promo oblige), qu’un auteur ne doit pas “exister” en dehors de ses films, est des plus révélateurs.

Une question de génération

Si cet effacement du cinéaste devant son œuvre – auquel la télé de Berlusconi a mis fin en faisant croire au spectateur qu’il était l’auteur de sa vie – a longtemps prévalu chez les cinéastes de la “vieille” génération, celle des Fellini, Antonioni, Visconti et autre Rossellini, c’est aussi pour une raison historique. Ayant fait leurs débuts sous la censure fasciste, ils ont cultivé une tendance naturelle à la discrétion, voire à une certaine forme d’autocensure – avant de devenir l’un des réalisateurs les plus admirables du néoréalisme, Rossellini a signé des films de propagande peu reluisants – “Un pilote revient” (1942), “L’homme à la croix” (idem). Après-guerre, à l’exception de Pasolini, qui le paya de sa vie, ces mêmes réalisateurs, alors qu’ils pratiquaient l’un des cinémas les plus engagés du monde, ne sont guère sortis de leur réserve. Quand Giulo Andreotti s’en prend à Vittorio de Sica en dénonçant sa vision pessimiste et négative de la société italienne dans “Umberto D” (1952), l’auteur de ce pur chef-d’œuvre répond au politicien corrompu sur un ton plein de respect, en soulignant que la censure est des plus utiles en Italie… Même si elle n’est pas exempte de risque (l’on ne se donne pas impunément en public), l’initiative de Moretti, qui, en cette circonstance, a reçu l’appui de Begnini, constitue donc bel et bien une rupture significative.

Vincent Adatte