«CH-2000: lignes de fuite»

Caméra-stylo, programme n°90 |

Pour son ultime cycle de l’an 2000, Passion Cinéma va s’attacher aux pas obstinés d’un survivant: ce cinéma suisse dont la vitalité se révèle de plus en plus paradoxale! Partant, l’amateur cinéphile va faire une expérience pour le moins étonnante qui l’amènera peut-être à se dire: «Le cinéma suisse n’existe pas, je l’ai même rencontré!» À l’instar de certains conifères qui, à ce qu’il paraît, multiplient leurs «fruits» juste avant de dépérir, le septième art helvétique aurait-il un brin décuplé sa production avant extinction? L’image est confortable, mais elle ne résiste guère à une analyse un peu plus approfondie.

Miroir, mon beau miroir

C’est un fait indubitable, via les quatre écoles de cinéma du pays (sises à Genève, Lausanne, Zurich et Lugano), il n’y a jamais eu sans doute autant de jeunes qui, aujourd’hui, pensent et rêvent cinéma en Suisse. Les projets en germe sont donc légion… Las, manque l’argent pour concrétiser en bien ou en mal toutes ces «meilleures intentions»! Le soutien financier alloué par la Confédération pour soutenir la production cinématographique helvétique est tout bonnement ridicule, surtout en regard de ce qui se pratique ailleurs — on dépense annuellement beaucoup plus pour l’exploitation du seul opéra de Zurich!
Le jour où les hommes et femmes politiques auront compris toute l’importance du cinéma dans la restitution/constitution d’une identité collective authentique (autrement dit: déchirée, contradictoire, plurielle, mensongère, mythomane, etc.), l’horizon sera peut-être un peu moins bouché pour la nouvelle génération issue des écoles de cinéma… Mais certains signes laissent espérer une amélioration notable en la matière. Dans l’attente, il faut ressasser sans relâche l’exemple de la France qui demeure le dernier pays en Europe à produire en si grand nombre des premiers longs-métrages de jeunes auteurs, par la grâce d’une politique de soutien «étatique» sans faille (ou presque).

Regarder ailleurs

Bien sûr, ce soutien accru — «pitoyable» s’écrieront les serviteurs d’un néo-libéralisme «impitoyable» — de l’État ne fera que souligner l’évidence: un véritable cinéma «national» n’existe pas (ou plus), tout juste pourra-t-on constater quelques lignes de fuite communes. Bienheureux, ce constat favorisera peut-être à long terme notre «bonne» santé mentale. Un éloge du type «Blut und Boden» (à la Blocher ou autre) reste introuvable, en tout cas dans «nos» films. Il suffit d’examiner les thèmes traités par les huit films programmés par Passion Cinéma dans le cadre de son cycle «CH-2000» pour se faire une raison: les cinéastes suisses actuels voyagent beaucoup pour aller «regarder ailleurs» — Palestine («Genet à Chatila» de Richard Dindo), Colombie («L’accordéon du Diable» de Stephan Schwietert), Inde («Made in India» de Patricia Plattner et «Pleine conscience en marche» de Thomas Lüchinger), Sud de la France («Mondialito» de Nicolas Wadimoff). D’autres pratiquent des exorcismes salutaires («Celui au pasteur» de Lionel Baier; «Gripsholm» de Xavier Koller qui a pour protagoniste le poète «anti-nazi» Kurt Tucholsky; «Komiker» de Markus Imboden)… Oui, le cinéma suisse n’existe pas, nous allons même le rencontrer!

Vincent Adatte