A voir au cinéma!
«Une Estonienne à Paris» est un film estonien qui raconte l’apprivoisement d’une vieille dame indigne jouée par une Jeanne Moreau lumineuse. A bientôt 85 ans (elle les aura le 23 janvier), celle qui a été dirigée par les plus grands, montre qu’elle n’a rien perdu de son immense talent, tour à tour odieuse, tendre, blessée, enthousiaste… Coproduit entre la France, la Belgique et l’Estonie, le troisième long-métrage du réalisateur Ilmar Raag doit sa genèse aux études que ce cinéaste a suivi à la Sorbonne, au cours desquelles il s’est manifestement épris de la capitale française, au point de vouloir lui consacrer un film par la bande. Celui-ci commence cependant très loin de la Ville Lumière, au plus profond d’une campagne estonienne saisie par l’hiver.
Au chevet de sa mère, Anna (Laine Mägi) assiste à ses derniers instants. Elle a veillé sur elle pendant deux longues années, démissionnant même de la maison de retraite qui lui garantissait un emploi. Après l’enterrement, auquel sont venus furtivement assister ses deux grands enfants, la voilà désormais confrontée à un vide abyssal: son existence présente et à venir! L’espoir renaît sous la forme d’un simple coup de téléphone! Quelqu’un lui propose un travail à Paris, une ville dont elle a beaucoup rêvé dans sa jeunesse, sans jamais pouvoir y séjourner.
L’Estonienne se retrouve donc à Paris, mais au rude service d’une riche compatriote aux manières très indépendantes, une exilée de longue date qui se refuse obstinément à parler la langue de son pays. De fait, Frida (Jeanne Moreau) n’apprécie pas du tout la présence de la timide Anna et la rejette en se montrant particulièrement odieuse à son égard. En réalité, la vieille dame indigne ne rêve que de reconquérir son «jeune» amant Stéphane (Patrick Pineau), qu’elle soupçonne d’avoir engagé Anna pour prendre ses distances. Après quelques vacheries et autres petites vexations, les deux femmes commencent à pactiser, se livrant peu à peu leurs secrets, conjuguant leurs solitudes respectives, jusqu’à se donner mutuellement un nouvel appétit de vivre.
C’est en quittant le registre un peu trop balisé de l’affrontement verbal que le film trouve son équilibre et témoigne d’une sensibilité rare à l’égard de ses trois protagonistes qu’il traite avec une belle égalité. Venu de la télévision, où il a réalisé quelques polars, Ilmar Raag fait aussi preuve d’un sens très sûr de la nuance, notamment dans sa manière de jouer sur les silences qui laissent deviner les blessures intimes de l’être. Très recommandé en ces périodes de films de fêtes un brin tapageurs!
de Ilmar Raag
France/Belgique/Estonie, 2012, 1h34
à voir à La Chaux-de-Fonds et à Neuchâtel