A voir mardi 28 août 2012 à 2h35 sur Arte
Avec son troisième long-métrage, qui clôt sa trilogie sur l’Europe, Lars von Trier aiguise son style envoûtant et totalitaire, invitant le spectateur à prendre place dans une machine esthétique intransigeante et sans échappatoire. La séquence d’ouverture s’accompagne de la voix hypnotique de Max von Sydow, qui compte jusqu’à dix pour immerger le personnage principal (et le public) dans cette démonstration horrifique de l’Europe. Europe dont le cinéaste a évidemment choisi un visage bien précis, celui de l’Allemagne de 1945, ravagée par les bombes, par l’incertitude face aux discours de grandeur et décadence, face à la mort omniprésente. «Vous avez envie de vous réveiller et de vous débarrasser de cette image de l’Europe. Mais ce n’est pas possible» conclut la voix de Max von Sydow.
Leopold Kessler (Jean-Marc Barr), un Américain d’origine allemande, débarque à Francfort. Par l’intermédiaire de son oncle, il trouve un poste de contrôleur de wagons-lits au sein de la compagnie ferroviaire Zentropa – contraction entre «zentral» (central) et «Europe», nom que Lars von Trier donnera également à sa fameuse société de production. Leopold fait la rencontre de la belle Katharina Hartmann (Barbara Sukowa), fille du dirigeant de la compagnie, manipulatrice et désillusionnée, dont il tombe éperdument amoureux. Traversant le pays de nuit à un rythme effréné, le train offre au jeune Américain le spectacle d’une Allemagne détruite, qui n’a pas encore réalisé ce qui s’est passé et qui est prise entre deux feux: les Alliés qui demandent réparation et les anciens Nazis qui invitent à agir dans la clandestinité.
Lars von Trier prouve avec «Europa» son habileté croissante dans le maniement du langage cinématographique et l’usage des métaphores. Il puise dans l’esthétique désenchantée du cinéma allemand d’après-guerre, à laquelle il répond par des points de vue et un montage violents, proches de l’imagerie moderniste de l’entre-deux-guerres. Par cet assemblage à la puissance visuelle incomparable, il nous emporte à travers «l’Histoire» à la vitesse de ce train dont on ne peut s’échapper, à moins d’une bombe… Prisonnier de la beauté des images, on l’est aussi du discours pessimiste du cinéaste danois, discours qu’il étoffera tout au long de sa filmographie avec la même maestria, jusqu’au cynisme le plus kitsch dans son récent «Melancholia».
de Lars von Trier
Suède / Danemark / France / Allemagne / Suisse, 1990, 1h50