Suzanne la perverse

A voir dimanche 4 janvier 2015 à 0h15 sur France 3 |

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Suite à la parution du livre de Salvador Dali en 1942, qui lui fait endosser toute la responsabilité des images «avilissantes» de «L’Âge d’or» (1930), le cinéaste espagnol Luis Buñuel (1900-1983) est mis à la porte du jeune Museum of Modern Art de New-York, pour lequel il officiait comme conseiller. Le réalisateur du non moins scandaleux «Un Chien Andalou» (1928) s’exile alors au Mexique, comme nombre de ses compatriotes républicains.

Engagé par le producteur Oscar Dancigers, il commence à tourner des films où il feint de se glisser dans le moule du mélodrame, qui était à l’époque le genre cinématographique le plus populaire au Mexique. Buñuel réussit alors parfaitement à donner le change. Bien qu’il subvertit complètement le genre de l’intérieur, il connaît le succès et gagne une réputation de cinéaste fiable, respectant les budgets impartis.

Tourné juste après «Los Olvidados» (Prix de la mise en scène à Cannes en 1951), l’incroyable «Susana la perverse» constitue sans doute la quintessence de cet art secrètement subversif, faussement édifiant, qui fait imploser avec un savoir-faire époustouflant la morale confite des bien-pensant, quand il ne la retourne pas comme un gant, pointant avec une ironie mordante la dimension mortifère de la bonne bourgeoisie!

Jeune pensionnaire enfermée dans une maison de correction, Susana (Rosita Quintana) se rebelle une fois de plus contre l’autorité. Jetée dans un cachot où pullulent rats et mygales, elle prie pour qu’un miracle ne la sauve. Susana semble entendue, en regard de la facilité avec laquelle elle réussit soudain à desceller les barreaux de sa cellule. Sous un orage prémonitoire, elle échoue peu après dans l’hacienda de Don Guadalupe (Fernando Soler) où elle est recueillie puis engagée comme domestique…

Partant, Buñuel en fait une figure féminine aussi redoutable qu’inoubliable, un mixte détonnant de la Vierge Marie et d’Eve la tentatrice, dont l’érotisme dévastateur va complètement détraquer l’aréopage masculin qui détenait le pouvoir en ces lieux. Et le mélo de grincer de partout… Seule l’arrivée de la police mettra à un terme à ce jeu de massacre. Pour couronner le tout, le cinéaste fait mine de faire allégeance au sacrosaint happy end, mais, d’un simple geste de la main de Don Guadalupe, qui vaut pour un lapsus, il réussit à en démontrer toute la facticité.

Susana, demonio y carne
de Luis Buñuel
Mexique, 1950, 1h26