A voir mercredi 20 mai 2015 à 20h50 sur France 4 |
Pour son dix-huitième long-métrage, Pedro Almodóvar transforme Antonio Banderas en savant fou et traduit ses obsessions et démons de toujours par un drame fantastique aussi viscéral que mystérieux. L’effet de surprise y est roi, ce qui implique de ne pas déflorer l’argument vénéneux de ce film éblouissant. Il faut donc avancer avec prudence dans sa défense, d’autant que «La piel que habito» (littéralement: «la peau que j’habite») a été l’un des grands oubliés du palmarès du dernier Festival de Cannes où il était présenté en compétition. Sans crainte, l’on peut situer l’origine de ce nouveau sommet de l’œuvre du cinéaste madrilène. Il s’agit d’un roman déjà très dérangeant de Thierry Jonquet, paru en 2006 dans la collection Série noire éditée par Gallimard et intitulé «Mygale». Même s’il en a gardé quelques éléments d’importance, Almodóvar s’est livré à une adaptation absolument libre, assurant n’avoir lu le livre qu’une ou deux fois! Une autre source d’inspiration que l’on peut déceler, un peu trop citée par la critique française, est bien sûr «Les yeux sans visage» (1959), film fantastique du réalisateur breton Georges Franju, dont le cinéaste a sans doute repris l’idée de la greffe de peau, mais en la développant à de toutes autres fins!
Les premières images du film nous introduisent dans la demeure froide et somptueuse d’une grande propriété, où une jeune femme entièrement recouverte d’un justaucorps couleur chair effectue un exercice de yoga. La chambre où cette présence mystérieuse s’active est fermée à clef. C’est normal, elle est destinée à être le cobaye d’une expérience menée par le professeur Robert Ledgard (Antonio Banderas). Chirurgien renommé, le malheureux Ledgard a vu sa femme périr brûlées vives suite à un accident de voiture. Même s’il semble en apparence très équilibré, l’homme ne s’en est pas remis, travaillant depuis lors comme un forcené (au sens psychiatrique du terme) à créer un épiderme de synthèse résistant, à même de rivaliser avec la peau féminine que l’on sait si douce.
Jusque-là, nous sommes en territoire connu, à la lisière d’une histoire d’amour fou guettée par l’horreur, rien que de très normal, du déjà-vu dans nombre films de genre. Sans crier gare, Almodóvar désarticule subitement la temporalité rassurante (si l’on peut dire) de son récit et induit peu à peu que la jeune femme habite son corps dans la douleur, comme s’il ne lui appartenait pas en propre. Advient alors la révélation qui va conférer à la «La piel que habito» une dimension vertigineuse…
Avec les années, le réalisateur de «Parle avec elle» – revers pacifié de son dernier film – apparaît de plus en plus comme le seul et véritable héritier d’Hitchcock, dans sa manière de déjouer sans cesse les attentes du spectateur, de mettre à nu son voyeurisme originel. Incontestablement, Almodóvar a le cinéma dans la peau.
de Pedro Almodóvar
Espagne, 2011, 2h