A voir lundi 3 février 2014 à 0h25 sur France 2 |
Tombé peu à peu dans l’oubli après la Seconde Guerre mondiale, Georg-Wilhelm Pabst (1885-1967) est certes moins connu que Murnau ou Fritz Lang, mais reste pourtant l’un des cinéastes phares du cinéma allemand d’avant-guerre. Parmi ses nombreuses qualités, il a notamment offert à l’énigmatique Louise Brooks les rôles qui ont littéralement immortalisé son image dans l’histoire du cinéma. De «Loulou» (1928) à «Journal d’une fille perdue» (1929), deux hymnes incandescents à l’amour fou, Louise s’est faite l’emblème avant-gardiste du libre-arbitre féminin.
Dans les années 1930, jouant la carte d’un réalisme presque entomologique, Pabst stigmatise en effet une société dont le rigorisme et l’hypocrisie bafouent toutes les valeurs morales et livre des portraits peu flatteurs de l’Allemagne. Pourtant, en 1932, il ose une digression fantastique en adaptant le roman de Pierre Benoit, «L’Atlantide» et délaisse toute portée socio-politique en 1938 pour réaliser «Le Drame de Shanghai», un agréable film d’espionnage empreint d’exotisme.
Avant d’être incarnée par l’actrice au casque noir, le personnage de Loulou apparaît dans deux pièces de Frank Wedekind dans lesquelles l’auteur décrit les amours funestes de la jeune femme puis son procès. Souhaitant à tout prix adapter les écrits de Wedekind, Pabst fait passer de nombreuses auditions afin de dénicher l’actrice idéale, sans jamais se satisfaire d’aucune candidate. C’est en regardant «A Girl in Every Port» de Howard Hawks (1928) qu’il découvre Louis Brooks, la perle rare qui va permettre à son film de devenir rétrospectivement un monument de l’histoire du cinéma.
Loulou est une jeune femme aux mœurs légères qui dicte ses propres lois. Indépendante et sensuelle, elle suscite l’obsession des hommes qu’elle rencontre tout en se dérobant continuellement à leur fascination. D’abord maîtresse de Peter Schön, mécène des revues de music-hall dans lesquelles elle danse, elle finit par le tromper avec Alwa, son propre fils. Multipliant les conquêtes, elle provoque sa propre chute et s’exile à Londres où elle se prostitue. Ses dernières ardeurs amoureuses se déroulent alors en compagnie de Jack l’Eventreur.
«Loulou» est devenu, dans les années 1950, un film incontournable pour les raisons mêmes qui ont été boudées par les spectateurs et les critiques à sa sortie. Parmi elles, Pabst aurait échoué dans sa tentative de livrer une chronique sociale. Mais l’intention de Pabst se situe ailleurs, et en se servant d’éclairages expressionnistes, il apporte une respiration mythique à son film afin de valoriser la complexité du personnage de Loulou, sa beauté incandescente et sa part d’ombre. Les intrigues importent alors moins que cette héroïne moderne sur laquelle le cinéaste focalise toute son attention. Louise Brooks elle-même fut décriée par le plus grand nombre, accusée d’être une très mauvaise actrice. Pourtant, c’est la simplicité même de son jeu, son naturel troublant qui ont permis de transcender le rôle du Loulou au-delà de l’écran de cinéma, au-delà de son temps.
Die Büchse der Pandora
de Georg Wilhelm Pabst
Allemagne, 1929, 2h13