A voir mardi 3 décembre 2013 à 23h10 sur RTS Deux |
Biographie déguisée de Bob Dylan, «I’m Not There» interroge le mythe de façon passionnante. A sa manière, aussi originale que déconcertante, c’est sans nul doute l’un des meilleurs films de l’année!
Le biopic (contraction du terme «biographical picture») est un genre typiquement hollywoodien. En s’attaquant au portrait d’une légende de la musique américaine, le réalisateur Todd Haynes lui fait certes subir un traitement de choc, mais qui convient à merveille à son sujet. Bob Dylan n’a eu de cesse en effet de brouiller les pistes, paraphrasant sur toute une vie le mot resté fameux de Rimbaud («je est un autre»). Cinéaste plutôt underground à ses débuts, Haynes illustre de façon littérale cet aveu un brin schizophrénique en conférant à son film une forme délirante, à commencer par son titre, «Je ne suis pas là», qui reprend celui d’une célèbre chanson de Robert Allen Zimmerman, né un 24 mai 1941, à Duluth.
De façon merveilleusement déroutante, Dylan n’est effectivement pas dans le film, mais le hante de la première à la dernière image. Le réalisateur ne lui prête pas moins de six visages différents pour sept doubles qui illustrent la propension du chanteur à la volte-face. Aucun d’entre eux ne s’appelle Dylan, mais chacun exprime de façon indépendante l’une des facettes du personnage, tour à tour, beatnik, icône folk, mignon de Warhol, «born again» converti au gospel, etc. L’effet est sidérant dans le sens où Haynes pousse à ses dernières extrémités le délire identitaire. C’est ainsi un jeune noir de onze ans qui rêve d’être Woody Guthrie, légende du folk qui inspira le jeune Dylan. Avec un aplomb merveilleux, Cate Blanchett incarne de son côté un songwriter androgyne, évoquant la période où le chanteur de «Blonde on Blonde» scandalisa les folkeux en électrisant ses compositions. La plus mystérieuse de ces incarnations restant celle de «Billy The Kid», auquel Richard Gere prête sa silhouette, une référence au western de Sam Peckinpah dont Dylan fut l’un des interprètes.
Avec audace, le cinéaste crée pour chaque avatar un style particulier et résume en un peu plus deux heures un pan entier de l’histoire récente du cinéma américain, Ce faisant, il nous met la puce à l’oreille: à lui seul, Bob Dylan «est» l’Amérique
de Todd Haynes
Etats-Unis, 2007, 2h15