Les Témoins

A voir mardi 10 décembre 2013 à 0h50 sur Arte |

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Le titre du vingt-et-unième long-métrage du cinéaste André Téchiné reste longtemps mystérieux pour prendre soudain un sens bouleversant, qui heurte de plein fouet le spectateur. «Les Témoins» est un film divisé en trois chapitres respectivement intitulés «Les beaux jours», «La guerre» et «Le retour de l’été», lesquels chapitres sont commentés par une narratrice. Cette dernière est romancière et s’appelle Sarah (Emmanuelle Béart). Avec un petit enfant sur les bras, en prise avec les tracas de la vie quotidienne, elle a l’écriture plutôt difficile.

Le premier chapitre est un portrait de groupe, baigné par la lumière irradiante de l’été 1984. Sarah a pour compagnon Mehdi (Samir Bouajila), un flic qui travaille à la brigade des mœurs. Chanteuse lyrique, (Julie Depardieu) se voue corps et âme à sa passion. Elle habite un hôtel sordide où vient la rejoindre son jeune frère Manu (Johan Libéreau) monté de sa province à Paris. C’est un ami commun, Adrien (Michel Blanc), médecin de son métier, qui va mettre en contact les uns et les autres. Attiré par Manu, Adrien en reste à jouer au père adoptif, mais passe de façon surprenante à l’acte avec Mehdi qui prétendait pourtant qu’un flic homo, «ça n’existe pas… Téchiné enregistre ces échanges ou plutôt ces bifurcations de façon très directe, sans faire de psychologie, en phase avec l’époque désinhibée des «eighties».

Le deuxième chapitre, «La guerre», bloque net cette circulation du désir. Atteint du sida, Manu meurt frappé par un virus alors inconnu, une épidémie qui procède presque d’un film de science-fiction tant elle semble impossible à juguler. La plupart des protagonistes craignent la contamination et les réactions au désastre sont très diverses. Avec une acuité terrible, Téchiné évite dans cette partie centrale le piège de la culpabilisation morale: Manu meurt dans l’incompréhension de son mal, simplement victime (mais nullement coupable). Ce sont les survivants qui tireront un sens de sa mort pour leurs propres existences.

Et c’est ce que montre le troisième chapitre, «Le retour de l’été», sans aucune volonté d’édification, sinon d’exalter la puissance de la vie… Sarah écrira pour témoigner. Adrien délaissera sa condition de nanti pour contribuer à la fondation d’AIDS. Julie partira à l’étranger pour se confronter à la réalité de ce qu’elle croit être sa vocation. Seul Mehdi fera exception, dans une scène très forte où il empêche la transmission des premières brochures d’informations sur le sida… Un mot qui, par ailleurs, n’est pas prononcé une seule fois dans ce film qui invite au bonheur envers et contre tout.

de André Téchiné
France, 2007, 1h52