Le Maître du logis

de Carl Theodor Dreyer |
avec Johannes Meyer, Astrid Holm, Karin Nellemose, etc.

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      L’on éprouvera à la vision du «Maître du logis», une émotion parti­culière; quelque chose comme une sensation aiguë que, là sous nos yeux, un auteur, un vrai, est en devenir… Autrement dit, que Dreyer maîtrise son outil, qu’il impose au cinéma sa manière. S’en ressent en premier lieu le sujet, qui n’est pas sans ré­sonances autobiographiques, puisqu’il s’agit de dénoncer une injustice commise à rencontre d’une femme, de la réhabiliter.

      Dans un appartement de deux pièces, Ida Frandsen est traitée en esclave par Viktor, son mari, qui ne lui reconnaît aucun mérite, fût-il domestique… accablée par cette injustice, elle quitte le domicile conjugal; la remplace Mads, la nourrice de Viktor, qui amène pro­gressivement cet homme égoïste à plus de compréhension: c’est que la vieille femme lui fait subir, sciem­ment, un traitement identique à celui qu’il a infligé à sa pauvre femme.

      Traitant ce sujet «qui lui importe», Dreyer, donc, devient Dreyer: il le devient en dénouant la contradiction que tout cinéaste, à l’entendre, se doit de surmonter dès lors qu’il veut atteindre au vrai: soit constituer une forme cinématogra­phique à même de concilier l’au­thenticité, objective, des choses et la vérité, subjective, des senti­ments.

      Pour rendre ce qu’il appelle l’authenticité des choses, Dreyer recons­titue l’appartement des Frandsen dans ses moindres détails: «pous­sant le réalisme jusqu’à y installer le gaz, l’eau et l’électricité!» Dans le même but, il exige de ses acteurs qu’ils répètent sans em­phase les gestes du quotidien, qu’ils en jouent les temps morts… des acteurs bai­gnant dans une lumière diffuse, dé­dramatisée, réaliste, qui accentue le caractère anodin de leurs person­nages.

      Par des mouvements de caméra ap­propriés, le cinéaste révélé les sen­timents des personnages, sen­timents inspirés, justement, par la réalité tangible de leurs actions. La figure de style qui consacre ce rap­port est le travelling qui relie sans relâche «les choses» aux êtres… des êtres dont il isole le visage en gros plan sur un fond neutre… un visage qui peut, dès lors, réfléchir la si­tuation. Ainsi Dreyer pose-t-il les condi­tions de son art, cet art qu’il appelle du nom de «réalisme psycholo­gique».
      DU SKAL ÆRE DIN HUSTRUB, Danemark, 1925, noir et blanc, muet, 1h18; programme n°1