«Vertiges de l’amour»

Caméra-stylo, programme n°156 |

Rares sont les films de fiction qui sont dépourvus de tout transport amoureux. Ci et là il y a bien quelques westerns glacés dont le justicier psychorigide, tout à sa vengeance aveugle, en oublie d’épanouir sa sexualité. De leur côté, les déviants des films «gore» sacrifient à leur pulsion en démembrant, éventrant, éviscérant et strangulant les jeunes filles en fleur sans faire de sentiment. Dans les films de guerre, l’on s’abstient la plupart du temps de conter fleurette à l’infirmière; ouvrir son cœur sur fond de boucherie généralisée ferait sans doute un peu mauvais genre. Mais, hormis ces cas d’exception, le cinéma a effeuillé l’inusable marguerite un nombre de fois littéralement incalculable. A ce que l’on raconte, dans les années cinquante, un spécialiste un brin suicidaire et sans doute célibataire se serait lancé dans l’entreprise de sa vie en voulant répertorier tous les films dits d’amour. Ce malheureux comptable serait mort bien avant d’arriver à ses fins, dans une profonde solitude affective. C’est dire si ce sujet universel a hanté et hante encore les cinéastes!

Un baiser de quatre secondes

Le désir et le cinéma font cause commune dès les origines. En automne 1896, John C. Rice et May Irwin échangent le premier baiser cinématographique dans le très justement nommé «The Kiss». D’une durée de quatre petites secondes, leur étreinte éphémère suscite la fureur de la presse conservatrice et des ligues bien-pensantes. Rappelons que le Petit Larousse a défini jusqu’en 1949 l’érotisme comme un «amour maladif» dont il faut guérir. Poison, infection, contamination, ces termes médicaux, très révélateurs, seront longtemps appliqués au cinéma… Malgré ces réactions de mauvaise humeur, la fameuse scène d’amour finira par obtenir droit de cité et ne quittera dès lors plus nos écrans. Nous en voulons pour preuve l’anecdote suivante: au temps du Muet, les acteurs et les actrices avaient licence de dire n’importe quoi durant les prises, l’important étant qu’ils parlassent en bougeant bien les lèvres pour justifier l’apparition des intertitres qui rapportaient la teneur de leurs «dialogues». Exception notable à cette liberté d’expression, la phrase lapidaire et mythique, ce «je t’aime» que Rudolph Valentino, Greta Garbo ou John Gilbert se devaient absolument de prononcer, parce que le public la guettait littéralement sur leurs lèvres, pour la lire en frissonnant, tels des malentendants.

Happy ends illusoires

Usine à rêves oblige, la plupart des films d’amour de la période dite classique se terminaient par un «happy end», hors les mélodrames où le malheur terminal était la règle. C’est pour cette raison que les majors déniaient aux réalisateurs qu’elles avaient sous contrat tout droit de regard sur le montage final (le fameux «final cut»). Aujourd’hui, ce genre de diktat fait sourire, d’autant que tous les grands cinéastes savent depuis longtemps que «l’amour n’est pas aimé», pour reprendre le titre d’un très beau roman de l’écrivain argentin Hector Bianciotti. Allez faire prétendre le contraire aux réalisateurs et réalisatrices dont Passion Cinéma présente les derniers films! Pour Almodóvar et consorts, la passion amoureuse n’est de loin pas un bouquet de violettes, heureusement pour nous autres spectateurs!

Vincent Adatte