«6 films de femmes»

    Caméra-stylo, programme n°35 |

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      Symptomatique! La plupart d’entre nous ignore jusqu’à l’existence d’Alice Guy (1875-1968); réhabilitée par les mouvements féministes des années 70, Alice Guy a été la première femme cinéaste au monde et sans doute la créatrice du film de fiction — avant Georges Méliès! Engagée dès 1895 comme dactylo aux établissements Gaumont, elle réalise à partir de l’année suivante, et ce jusqu’en 1906, la plupart des créations de la firme — environ deux cent bandes d’une durée de une à 40 minutes. Ce faisant, Alice Guy aborde et invente les genres les plus variés: fantastique («Faust et Méphisto»), comique («Le Cake-Walk de la pendule»), mélodramatique («Rapt d’enfants par les Romanichels»), etc.

      Des cas isolés

      Longtemps refoulé par les historiens du cinéma, cet exemple fondateur n’a pas suscité une révolution féministe avant l’heure. En conformité avec la structure sociale, pendant la période du Muet, les femmes cinéastes ont constitué des exceptions confirmant la règle, des exceptions qui n’ont cependant pas été sans influencer sur l’évolution du septième art: je pense aux mélodrames naturalistes et annonciateurs du néo-réalisme de l’Italienne Elvira Notari («E’ piccirela», 1922), aux films de montage de la Soviétique Esther Choub (1894-1959) qui, détournant des images filmées par autrui, invente un genre de cinéma expérimental que certains cinéastes new-yorkais croiront inventer 40 ans plus tard, aux avancées dans la technique de l’animation accomplies par la cinéaste et théoricienne allemande Lotte Reininger («Les Aventures du Prince Ahmed», 1926), ou encore aux expérimentations cinétiques de la surréaliste française Germaine Dulac («La Coquille et le Clergyman», co-réalisé avec Antonin Artaud en 1927).

      Le silence du Parlant

      L’avènement du Parlant qui parachève la main-mise de l’industrie sur le cinéma va raréfier ces carrières excentriques en imposant des filières de formation plus classiques où les hommes, bien entendu, dominent. Hormis «Jeune filles en uniforme» (1931) de l’Allemande Léontine Sagan, qui révèle une sexualité féminine à un public masculin stupéfait, et la carrière atypique d’Ida Lupino, star à la Paramount puis cinéaste américaine indépendante réalisant entre 1949 et 1953 huit films mémorables (qui prennent le contre-pied des fictions dorées à Hollywood), le cinéma sonore ne fait plus guère entendre de «voix» féminines.

      Le cinéma au féminin

      A la fin des années cinquante, la vague féministe conjuguée à une remise en question des structures de production dominantes, ramènent des réalisatrices sur le devant de la scène: à New York, Shirley Clarke, Barbara Kopple et Connie Field, créent un cinéma «direct» qui donnent l’image et le son aux minorités; en France, dans le sillage de la Nouvelle Vague, Marguerite Duras, Agnès Varda et, plus tard, Chantal Akerman font voir leurs différences. Eclose dans le «dégel» soviétique, Kira Mouratova montre de son point vue le désastre communiste («Brèves rencontres», 1967).
      Au jour d’aujourd’hui, il semble que les femmes cinéastes vont se faire de plus en plus nombreuses — ainsi que le prouve leur fréquentation quasi majoritaire des écoles spécialisées. Voilà qui peut-être sauvera notre deuxième siècle de cinéma…

      Vincent Adatte