«Romans d’ados»

Caméra-stylo, programme n°164 |

Pour sa rentrée automnale, Passion Cinéma est très fière de s’associer à la sortie sur les écrans neuchâtelois de la saga «Romans d’ados», à n’en pas douter l’un des grands événements cinématographiques de l’année! Pendant sept ans, la cinéaste documentaire Béatrice Bakhti s’est attachée aux pas de sept adolescents en devenir. En résulte une œuvre absolument passionnante, digne de figurer au panthéon du cinéma du réel. Encensée au Festival de Nyon, ovationnée à Locarno, la tétralogie de la réalisatrice suisse donne littéralement à voir le temps à l’œuvre: sous nos yeux, Aurélie, Xavier, Mélanie et les autres quittent les rivages de l’enfance pour gagner, avec des fortunes diverses, les horizons de l’âge adulte. A mille lieues de la téléréalité qui nous fait désespérer du petit écran, cette véritable épopée de l’identité répond à l’enjeu de tout geste documentaire, soit faire surgir du chaos audiovisuel une image qui nous soit absolument contemporaine, avec toutes ses incertitudes, ses béances et ses questions sans réponses.

Le temps qui passe

Certes le documentaire par immersion est une pratique depuis longtemps connue, mais l’ambition de «Romans d’ados» lui confère une dimension assez exceptionnelle. Des grands cinéastes ont tenté avec succès de mesurer le temps qui passe, avec ce que cela suppose de transformation et, à la clef, souvent une sensation de tragique ou à tout le moins de mélancolie. En 1946, le réalisateur français Georges Rouquier tourne en Aveyron, dans le village de Goutrens, «Farrebique» où il suit pendant une année la vie d’une modeste famille de paysans, au rythme des saisons. Quarante-trois ans plus tard, il retourne au même endroit pour réaliser «Biquefarre» (1983), une suite qui offre un tableau saisissant de l’évolution de la campagne française. Les deux «versions» de «La Rosière de Pessac» sont un autre exemple de «mesure du temps», incluant la comparaison entre présent et passé proche. En 1968, le très regretté Jean Eustache se rend dans son village natal pour y filmer sans commentaire, en prenant le parti du direct la fête organisée par les autorités communales pour désigner la jeune fille la plus méritante de l’année. Onze ans plus tard, il revient à Pessac pour filmer le même événement, le cinéaste recommandant aux spectateurs de voir d’abord la seconde version. De son côté, Jean-Louis Comolli, grand documentariste s’il en est, poursuit une démarche similaire, en filmant de 1989 à 2009 les principales élections qui ont lieu à Marseille, restituant de façon révélatrice toutes les fluctuations de la «res politica».

La puissance du documentaire

Sans exagérer, la quadrilogie de Béatrice Bakhti soutient parfaitement la comparaison avec ces trois essais prestigieux. A l’instar de ces derniers, «Romans d’ados» constitue un témoignage de la puissance incomparable du documentaire, surtout quand celle-ci s’accomplit dans le respect des personnes filmées, ainsi que viendront en témoigner à l’une ou l’autre de nos séances les protagonistes de cette aventure inédite en Suisse (réalisatrice, adolescents, parents). En guise de complément, Passion Cinéma présente dans le même cycle quatre autres sorties sur la même thématique, dont le très attendu «Benda Bilili!» tourné à Kinshasa, qui décrit une famille improbable mais bien réelle, rassemblant musiciens handicapés, adolescents perdus et enfants des rues.

Vincent Adatte