«Dürrenmatt cinéaste»

Caméra-stylo, programme n°97 |

Dürrenmatt «cinéaste»… L’intitulé de ce cycle est donc à prendre entre guillemets. En effet, l’auteur des «Physiciens» n’a pas été à proprement parler un cinéaste. Il n’en reste pas moins qu’il a voué au cinéma, à l’image, un intérêt semble-t-il très marqué, comme en témoignent ses peintures exposées à l’indispensable Centre Dürrenmatt et ses quelques incursions dans le domaine cinématographique, accomplies à titre de scénariste, d’acteur et même de réalisateur. De fait, le passage au cinéma n’a pas dû lui poser beaucoup de problèmes; en expérimentant les formes littéraires les plus variées, l’écrivain s’est en effet déjà servi plus d’une fois de procédés typiques de l’écriture cinématographique: retours en arrière, grossissement des détails, descriptions en mouvement, dialogues haletants, etc.. Cette composante très «cinéma» de son œuvre littéraire explique d’ailleurs sans doute pourquoi près d’une trentaine de cinéastes de tous les pays (Allemagne, Inde, Italie, Sénégal, Union soviétique ou USA) ont adapté, à ce jour et avec des fortunes diverses, ses romans et pièces de théâtre.

Dürrenmatt scénariste

Scénariste, Dürrenmat l’a vraiment été à une seule reprise… En 1957, en répondant au défi lancé par Lazar Wechsler, le producteur en chef de la Praesens Film. Une expérience qui, à la fois, a été la cause d’une grosse désillusion et à l’origine d’un tournant dans sa carrière d’écrivain. Après le traitement indigne infligé à son scénario original («happy end» imposé et moult autres correctifs), Dürrenmat publie en 1958 «La promesse, requiem pour le roman policier» qui rétablit certes sa version, mais résonne surtout comme «l’adieu de l’auteur à un genre romanesque qui lui est familier», un genre qu’il considère comme un «pur exercice de style sans rapport avec la réalité vraie». Bien évidemment, cette conception parodique (qui, dans «La promesse», culmine au final avec le sort administré à l’assassin) se heurte de plein fouet à l’exigence de vraisemblance du cinéma dit «classique». L’accueil réservé à Dürrenmatt par l’industrie cinématographique (et un producteur à la recherche désespérée d’un succès public) a donc peut-être joué un rôle plus important qu’il n’y paraît dans l’évolution littéraire de l’auteur du «Soupçon»!

Frisch, Glauser, Keller

Hélas pour nous, très peu de films tirés de l’œuvre de Dürrenmatt sont encore disponibles en version sous-titrée français. En guise de complément, Passion Cinéma propose deux œuvres passionnantes adaptées de deux écrivains suisses majeurs du XXe, Max Frisch et le très tourmenté Friedrich Glauser, ainsi que l’un des grands chefs-d’œuvre inconnus de notre cinéma, «Roméo et Juliette au village» d’après Gottfried Keller.

Vincent Adatte