Othello

A voir jeudi 28 avril 2016 à 23h55 sur Arte |

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Avec le recul, Orson Welles demeure un génie incontournable, mais n’est plus une énigme. Comme tout commun des mortels, il apparaît désormais comme le produit, certes complexe, de son époque. Glorieusement défait dans son projet un brin prométhéen de rendre le cinéma à sa soi-disant vocation première, celle d’être un art expérimental, Welles rejoint le club, très relevé, des créateurs qui brillent de leur éclat à l’instant où l’histoire des formes bascule et change de paradigme. Songeons à Rimbaud, Manet, Henry James, Mahler…

Alors qu’Hollywood a parachevé la taylorisation de la production cinématographique, Welles est l’un des rares auteurs américains, sinon le seul, à avoir tenté de restaurer la souveraineté de l’artiste, en faisant valoir à nouveau la prééminence de la forme dans la représentation. Hélas, il n’a pu tourner qu’un seul film à l’intérieur du système («Citizen Kane» en 1941), avant d’être stoppé par l’establishment hollywoodien qui avait senti le danger. Banni des grands studios, il a erré de par le monde, bricolant de-ci de-là une douzaine d’œuvres sublimes, qui suffisent à notre bonheur, malgré leur incomplétude.

Après s’être fait confisquer par la RKO le montage de «La Splendeur des Amberson» (1942), Welles va de déconvenues en déconvenues. Grâce à sa deuxième épouse Rita Hayworth (dont il est pourtant en train de divorcer), il peut entreprendre pour la Columbia la réalisation vengeresse de «La Dame de Shanghai» (1948). Tourné sur le yacht d’Errol Flynn, ce chef-d’œuvre ironique pulvérise le code du film noir, donnant à voir la face cachée et putréfiée du «glamour» hollywoodien. Las , c’est un échec et Welles est désormais plus que suspect aux yeux des producteurs. Son œuvre étant toujours emblématique de sa relation à la modernité de l’Occident, de la Renaissance à la tragédie shakespearienne, il tourne ensuite tant bien que mal le splendide «Othello», Palme d’or à Cannes en 1952 (ex-æquo avec «Deux sous d’espoir» de Renato Castellani).

Adapté de façon étonnante de la tragédie homonyme (1604) de William Shakespeare, «Othello» se concentre sur la jalousie de Iago, suspendu dans une cage, qui assiste aux obsèques du couple Othello-Desdémone dont il a lui-même provoqué l’anéantissement. Ainsi construit en flash-backs, le film se caractérise par une mise en scène à la fois épique et expressionniste. Tourné au Maroc et en Italie, «Othello» semble disloqué. Usant du faux-raccords, voire de non-raccords, Welles enferme ses personnages dans le décor baroque d’une tragédie, où les salles sont inondées dès que la bataille commence, où les chambres sont monumentales ou minuscules, et où les rues sont grouillantes de gens qui courent dans tous les sens… Un chef d’œuvre, oppressant et très audacieux!

The Tragedy of Othello: The Moor of Venice
de Orson Welles
France / Italie / Maroc / Etats-Unis, 1952, 1h35