Matrix Revolutions

A voir jeudi 14 novembre 2013 à 20h45 sur NT1 |

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Avec la déferlante «Matrix», il vaut la peine de respirer un bon coup pour s’éclaircir les idées. Le spectacle proposé par Andy et Larry Wachofski est souvent fascinant, mais il faut faire un sort à tous les plumitifs branchés qui discernent dans cet amoncellement d’effets spéciaux une révolution radicale, tant sur un plan formel que thématique. Formellement, «Matrix» doit beaucoup aux acrobaties fabuleuses conçues par l’ancien étudiant de l’Opéra de Pékin, Yuen Woo Ping, ex-cascadeur de la Shaw Brothers (Hongkong) et découvreur de Jackie Chan. De fait, Yuen Woo Ping n’a fait que perfectionner les pratiques des cinéastes de kung-fu qui ont généralisé dès le début des années 70 l’usage des harnais et des câbles pour accentuer l’aspect chorégraphique de leurs cascades. La bonne vieille comédie musicale américaine constitue une autre source d’inspiration notable. Plusieurs scènes, dont celle très réussie où l’agent Smith se multiplie par cent pour affronter Néo, ultime avatar de nos figures messianiques, constituent des piratages évidents des chorégraphies démentes du génial Busby Berkeley (1895-1976).

Question scénario, les Wachowski ont mixé des emprunts à divers matériaux cinématographiques préexistants — dont «La Jetée» de Chris Marker et «Brazil» de Terry Gilliam — tout en puisant dans un fond «philosophique» vieux comme le monde, qu’ils ont apprêté avec de bien fades ingrédients «New Age»… Un simple programmateur travaillant le jour dans un service administratif devient, une fois la nuit venue, un pirate informatique de haut vol œuvrant sous le pseudo de Neo (Keanu Reeves); tripatouillant divers programmes, il reçoit ou «hallucine» des messages cryptés d’un certain Morpheus (Larry Fishburne); ces messages l’enjoignent d’aller, au-delà des apparences, combattre une certaine «matrice» qui nous balancerait des leurres audiovisuels à tire-larigot pour nous empêcher d’accéder à la vérité… Tout ça n’est guère nouveau: depuis l’aube des temps, l’homme ne peut se résoudre à se contenter de la seule réalité, se plaît à penser (tel un Platon) qu’il y a autre chose derrière les apparences qui, dès lors, sont forcément trompeuses… Forts des nouvelles technologies, les deux Wachowski décuplent l’aspect paranoïaque de ce type de méditation en lui donnant un tour plus ou moins vraisemblable. Jetant le trouble sur la réalité qui n’a plus de consistance — l’actuel et le virtuel s’échangent à l’infini, deviennent indiscernables — ils métamorphosent l’espace visuel en un terrain de jeu vidéo où tout peut arriver (voir la scène exemplaire où Neo demande une arme et s’en voit proposer une infinité… au sens littéral du terme).

Sur le plan thématique, le recyclage de vieilles lunes est encore plus patent. Ainsi, cette idée de matrice capable de générer à l’infini des univers virtuels qui nous leurrent n’est qu’une actualisation du mythe de la caverne cher à Platon. Une actualisation saupoudrée il est vrai de quelques éclats de la théorie des simulacres émise par Baudrillard dès la fin des années 70, lequel avait le premier discerné dans l’évolution des technologies du tout visuel (virtuel) une résurgence massive de la pensée platonicienne. Partant, il est n’est guère étonnant de retrouver dans la trilogie des frères Wachoski la figure d’un Messie qui traque la vérité au-delà des apparences «programmées». Entre nous soit dit, le véritable intérêt de la trilogie «Matrix» se situe à un autre niveau, plus humble… Même si elle n’est peut-être que de circonstance, la dénonciation de la pensée unique dupliquée à l’infini, personnifiée par la prolifération des agents Smith dont les costumes font volontairement référence au FBI, est savoureuse. Eh oui, lutter contre la matrice revient à plaider pour la diversité!

Dans cet ultime volet, l’agent Smith a semé une telle pagaille que les derniers survivants humains ne peuvent plus compter que sur Néo pour assurer leur survie. Malheureusement, il est coincé dans un monde intermédiaire!

The Matrix Revolutions
de Andy & Lana Wachowski
Etats-Unis, 2003, 2h08