Joachim Lafosse poursuit une œuvre d’auteur qui en fait sans conteste l’un des cinéastes parmi les plus passionnants de notre temps. Révélé en 2006 par le saisissant «Nue Propriété», où Isabelle Huppert tissait un cocon insidieux autour de ses enfants jumeaux adultes, le cinéaste belge multiplie les films inconfortables, au sens positif et réflexif du terme! Après le matricide de «A perdre la raison», tiré d’un fait-divers, et «Les chevaliers blancs» en 2014, inspiré de l’affaire dite de l’Arche de Zoé, cette ONG qui s’en vint en Afrique «kidnapper» trois cents bambins pour les faire adopter en Europe, Lafosse observe de façon magistrale la désintégration inéluctable du lien amoureux par l’argent dans «L’économie du couple».
Après avoir vécu des années sans doute très heureuses dans leur maison, où ils ont vu naître leurs jumelles, Marie (Bérénice Bejo) et Boris (Cédric Kahn) ont décidé de divorcer. Propriétaire des lieux, Marie est prête à céder à Boris un tiers de leur valeur, pour peu qu’il parte immédiatement, qu’il s’en aille vivre ailleurs sa vie d’«homme irresponsable». En regard des multiples travaux qu’il a effectués à sa satisfaction dans la maison, il en exige la moitié et ne s’en ira pas tant qu’elle n’aura pas transigé…
Relégué dans une chambrette, Boris, qui est au chômage, doit se plier à l’horaire réglé quasi à la seconde par sa future ex-femme, laquelle a littéralement divisé le frigo en deux et lui intime l’ordre de rentrer après vingt-trois heures les jours où elle a la garde de leurs deux fillettes. Avec le concours d’interprètes exceptionnels (les petites Jade et Margaux sont époustouflantes de naturel), Lafosse décrit de façon magistrale cette cohabitation forcée d’où suinte un comique de situation très dérangeant, générant chez le spectateur la crainte sourde de s’y reconnaître un tant soit peu… Un chef-d’œuvre!
de Joachim Lafosse
Belgique/France, 2016, 1h40