A voir lundi 30 mars 2015 à 0h30 sur France 2 |
Fils du grand peintre impressionniste dont il vend parfois quelques toiles pour financer ses films, Jean Renoir (1894-1979) appartient au gotha des cinéastes qui, dans les années trente, font évoluer de façon décisive le septième art. Représentant d’une classe sociale privilégiée qu’il sait être en voie de disparition inéluctable, mais dont il ne renie pas l’héritage humaniste intellectuel et culturel, Renoir est en sympathie avec les idées du parti communiste.
Cette ambivalence, le réalisateur de «La grande illusion» la surmonte en mettant au-dessus de tout son amour des personnages. De façon géniale, Renoir traduit en termes cinématographiques l’adage redoutable qui énonce que «chacun a ses raisons». Cet adage implique qu’un bon cinéaste doit aimer un tant soit peu tous ses personnages, même les plus salauds! Selon Renoir, c’est même la condition impérative pour échapper à la réduction fonctionnelle à l’œuvre dans la plupart des films et accéder à un véritable «réalisme intérieur». Début 1935, le futur réalisateur de «La Règle du jeu» commence le tournage du «Crime de Monsieur Lange» écrit par Jacques Prévert qui impose au film sa griffe anar et libertaire, en vantant qui plus est les bienfaits de l’entreprise autogérée…
A la frontière belge, un couple en fuite, Amédée Lange (René Lefèvre) et Valentine (Florelle), louent une chambre dans un petit hôtel. Les clients attablés au bar se demandent si Lange n’est pas l’assassin recherché par toutes les polices. Jouant son va-tout, Valentine raconte l’histoire de son bienaimé, afin qu’ils puissent juger par eux-mêmes s’ils doivent le laisser échapper à la justice. Dans ce que Truffaut a qualifié de «féérie sociale», l’escroc Batala (extraordinaire Jules Berry) va jouer le rôle de la fée Carabosse, réduisant à néant le rêve collectiviste des employés d’une imprimerie…
Innovant à tout crin, Renoir confère à la profession de foi un brin idéaliste de Prévert le désordre entropique de la vie, allant même jusqu’à justifier le crime de son protagoniste, qu’il filme en ayant recours à un panoramique à 360 degrés, lequel fait le tour complet du décor, un plan-séquence «destinal» d’une force inouïe, qui a fait entrer ce chef-d’œuvre pétri d’humanité trahie dans l’histoire du cinéma.
de Jean Renoir
France, 1935, 1h24