La Dame de Shanghai

A voir jeudi 14 mai 2015 à 02h50 sur Arte |

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Avec le recul, Orson Welles demeure un génie incontournable, mais n’est plus une énigme. Comme tout commun des mortels, il apparaît désormais comme le produit, certes complexe, de son époque. Glorieusement défait dans son projet un brin prométhéen de rendre le cinéma à sa soi-disant vocation première, celle d’être un art expérimental, Welles rejoint le club, très relevé, des créateurs qui brillent de leur éclat à l’instant où l’histoire des formes bascule et change de paradigme. Songeons à Rimbaud, Manet, Henry James, Mahler…

Alors qu’Hollywood a parachevé la taylorisation de la production cinématographique, Welles est l’un des rares auteurs américains, sinon le seul, à avoir tenté de restaurer la souveraineté de l’artiste, en faisant valoir à nouveau la prééminence de la forme dans la représentation. Las, il n’a pu tourner qu’un seul film à l’intérieur du système («Citizen Kane» en 1941), avant d’être stoppé par l’establishment hollywoodien qui avait senti le danger. Banni des grands studios, il a erré de par le monde, bricolant de-ci de-là une douzaine d’œuvres sublimes, qui suffisent à notre bonheur, malgré leur incomplétude.

Après s’être fait confisquer par la RKO le montage de «La Splendeur des Amberson» (1942), Welles va de déconvenues en déconvenues. Grâce à sa deuxième épouse Rita Hayworth (dont il est pourtant en train de divorcer), il peut entreprendre pour la Columbia la réalisation vengeresse de «La Dame de Shanghai» (1948). Tourné sur le yacht d’Errol Flynn, ce chef-d’œuvre ironique pulvérise le code du film noir, donnant à voir la face cachée et putréfiée du «glamour» hollywoodien…

Marin sans travail, O’Hara (Orson Welles) fait un sort aux agresseurs d’une jeune femme de rêve, prénommée Elsa (Rita Hayworth). Le lendemain, un riche avocat infirme engage O’Hara pour une croisière d’agrément sur son yacht, où il retrouve Elsa… N’en disons pas plus, sinon que le film se termine par une scène d’anthologie dans un parc d’attractions, où le réalisateur saccage un «palais des glaces» des plus symboliques. Au final, son alter ego abandonnera Elsa mourante, en murmurant: «Innocent ou coupable qu’importe, l’essentiel est de savoir vieillir…»

The Lady from Shanghai
de Orson Welles
Etats-Unis, 1948, 1h32