Intolérable cruauté

A voir vendredi 10 juillet 2015 à 20h55 sur Rouge TV |

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Le film de gangster («Miller’s Crossing»), le film noir («Fargo»), le road-movie («Arizona Junior»), le film d’évasion («0’ Brother»), le bilan post-Vietnam («The Big Lebowski»), le film sur Hollywood («Barton Fink») et plus tard même le western («True Grit»)… Les frères Coen persistent à refaire au second degré l’histoire du cinéma américain en nous retournant ces images qui ont façonné notre inconscient collectif. «Intolérable cruauté» ajoute un nouveau genre à leur très jouissif tableau de chasse: la comédie romantique!

Fidèles depuis leurs débuts à une stricte division du travail (Ethan et Joel signent les scénarios, Joel met en scène, Ethan produit), les Coen retracent le duel homérique qui oppose Miles Massey (George Clooney), une star du barreau de Los Angeles, spécialisée dans les cas de divorce, à Marylin Rexroth (Catherine Zeta Jones), future ex-femme d’un roi de l’immobilier. Comme à son habitude, Massey développe des trésors de rhétorique devant le juge et réussit à spolier Marylin de la très confortable pension qu’elle s’attendait à toucher. La croqueuse de maris fortunés rebondit aussitôt en épousant un magnat du pétrole et surtout réserve un chien de sa chienne à l’avocat. Balançant entre la supériorité amusée qui sied à un homme à qui tout réussit et un désir diffus pour cette (belle) femme qui ose lui faire front, Massey entre dans la logique sans retour du duel, ce qu’un avocat américain digne de ce nom ne se serait jamais risqué à faire…

L’un des principes créateurs des Coen consiste, à les entendre, à «tout jeter en l’air et à voir comment ça retombe pour exploiter ensuite le résultat plutôt que de le prévoir». En la circonstance, c’est tout un pan de la comédie de l’âge classique du cinéma américain (1930-1950) qu’ils jettent en l’air, surtout celle des Howard Hawks et Georges Cukor, les deux grands cinéastes gays d’Hollywood (qui, dans leurs films, exprimaient, en creux et de façon très malicieuse, leurs conceptions). Les Coen reprennent en particulier l’un de leur motifs favoris, qui est l’inversion des sexes; la femme battant l’homme sur son terrain avec les avantages faussement attribuées à ce dernier (courage, puissance, intelligence, etc.). Pour Hawks et Cukor, c’était là une manière de dire à la fois leur différence et la nécessité de ne pas réduire les uns et les autres à leurs rôles définis par une société basée sur la différence sexuelle. Les Coen se font un plaisir de passer ce motif dépassé au crible de notre soi-disant époque libérée. Servi par une distribution très bien pensée (eu égard au but poursuivi), le résultat ne laisse pas d’intriguer!

Intolerable Cruelty
de Joel Coen & Ethan Coen
Etats-Unis, 2003, 1h40