Dürrenmatt: Une Histoire d’amour

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Après avoir tiré avec talent les portraits du «sexe gourou» Bhagwan Shree («Guru – Bhagwan, His Secretary & His Bodyguard») et de l’éminent psychiatre et écrivain Irvin Yalom («Yalom’s cure»), la réalisatrice suisse alémanique Sabine Gisiger nous propose aujourd’hui une «autobiographie imaginaire» de l’écrivain Friedrich Dürrenmatt qui, comme chacun sait (ou presque), a passé la plus grande partie de son existence dans ses maisons de Pertuis-du-Sault, sur les hauts de Neuchâtel.
Optant pour un récit chronologique tissé de nombreuses images d’archives, son septième long-métrage documentaire met à jour de façon passionnante la relation amoureuse que l’auteur de «La Visite de la vieille dame» entretint avec la comédienne Lotti Geissler, sa première femme, qui dura près de quarante ans… Au point que la cinéaste a choisi de titrer son film «Friedrich Dürrenmatt, une histoire d’amour»! Elle aurait pu aussi l’intituler «Qu’il est parfois difficile de coexister avec un génie», car si l’amour fut de toute évidence partagé, ce ne fut pas toujours aisé!

Sabine Gisiger convoque aussi comme témoins Peter et Ruth, deux des trois enfants issus de cette union, ainsi que Verena, la sœur de l’écrivain, qui «commentent» à intervalles réguliers le récit «autobiographique» raconté par la cinéaste. Ironie du sort, elle a souvent recours, pour ce faire, à des extraits du film documentaire «Portrait d’une planète» que Charlotte Kerr, sa seconde femme, consacra à l’écrivain, considéré par les spécialistes comme une véritable déclaration d’amour. Avec une belle acuité, Gisiger use comme d’un leitmotiv de la séquence où l’on voit Dürrenmatt avancer dans un train vide qui semble lancé dans un tunnel sans fin.

Outre qu’il présente plusieurs moments très jouissifs, dont un repas carnivore pantagruélique pris au Restaurant du Rocher tenu par l’amateur d’art Hans Liechti, où Dürrenmatt avait ses quartiers, son documentaire confère à son protagoniste, ironiste aussi féroce que sublime, l’aura qu’il mérite à tout le moins. L’on gardera longtemps en mémoire le récit que l’écrivain donne de la mort «farceuse» de sa bien-aimée Lotti, tout comme l’on sourira de l’épilogue malicieux amené par Ruth devisant sur le «ménage à trois posthume» désormais noué sous l’arbre du jardin, dans le vallon de Pertuis-du-Sault.

Dürrenmatt: Eine Liebesgeschichte
de Sabine Gisiger
Suisse, 2015, 1h30