A voir mardi 6 janvier 2015 à 22h30 sur France 2 |
Tavernier dissèque les rouages et ravages de la France coloniale et confère à sa comédie dramatique un ton dévastateur, où le rire et l’horreur se confondent dans un cynisme qui n’a d’égal que la monstruosité des attachés territoriaux et autres émissaires de la métropole. Tourné au Sénégal, son film est adapté de «1275 âmes», roman de Jim Thompson publié en 1964. Il puise également dans l’atmosphère du lugubre «Voyage au bout de la nuit» de Céline, qu’il vient contrebalancer par des dialogues qui rappellent l’écriture poétique de Raymond Queneau ou Boris Vian. Vingt ans après la décolonisation, malgré de nombreuses nominations aux Césars et des acteurs au sommet de leur forme, «Coup de torchon» heurte encore trop les sensibilités hexagonales pour repartir avec une statuette.
Policier d’un petit village colonial de 1280 habitants, Lucien Cordier (Philippe Noiret) se heurte au mépris de ses supérieurs. Ces fonctionnaires racistes qui estiment être les 5 seules âmes parmi tous ces «nègres» – d’où le titre français du roman, qui rend justice au 1275 autres – l’accusent de lâcheté et de veulerie. Pour cet anti-héros chargé de faire respecter l’autorité coloniale tout en étant sensible aux conditions misérables des Africains, cet ultime affront est de trop. Présenté comme le dernier bastion d’humanité dans cet univers barbare, Cordier entame alors un massacre rituel, dans lequel se confondent une soif de justice presque animale et de petits arrangements personnels… Entouré d’une clique de Français pourris (Guy Marchand, Eddy Mitchell, Jean-Pierre Marielle) et d’amantes potentielles (Stéphane Audran, Irène Skobline, Isabelle Huppert), Cordier voit rouge. L’esprit colonial cerné avec une légèreté hargneuse, déconcertante et schizophrénique.
de Bertrand Tavernier
France, 1981, 2h08