Après «La Mort de Dante Lazarescu» (2005), le réalisateur roumain Cristi Puiu nous plonge aujourd’hui dans un repas de famille étonnant avec «Sieranevada», un titre volontairement tronqué d’un «r» et mystérieux, présenté cette année en compétition à Cannes… En Hiver, dans un appartement exigu de Bucarest, une famille se réunit pour commémorer un mort au cours d’un grand repas. Vieilles tantes, mères, pères, fils, filles, cousines et cousins, ils s’affairent à cuisiner ou parlent des actualités. Tout le monde a faim et aimerait passer à table, mais on attend l’arrivée du pope chargé de bénir les lieux. Et il est en retard!
Ce ballet de discussions animées, de cigarettes fumées à la cuisine, de plats déposés ici puis là et de costumes retouchés au fil et à l’aiguille, Cristi Puiu le restitue quasiment en temps réel, œuvrant par plans-séquences virtuoses filmés à hauteur d’homme. Instillant un suspense d’un genre inédit dès lors que le pope est attendu, Puiu nous entraîne dans une claustration progressive en passant sans cesse d’un personnage et d’une pièce à l’autre, pour mieux jouer avec les intrigues et dévoiler une société pleine d’angoisses et obsédée par la vérité: l’un remet en question les attentats de Charlie Hebdo ou la version officielle du 11 septembre, l’une encense le communisme révolu, l’autre nie ses aventures extraconjugales…
Si le ton avoisine souvent la comédie parce que la réalité et les situations tournent à l’absurde, le cinéaste laisse parfois exploser l’hystérie ou la colère, tout en parvenant à faire sourdre l’émotion au cours d’un simple dialogue. Au-delà des tensions et des non-dits familiaux, «Sieranevada» s’impose comme une métaphore universelle de nos sociétés désormais hantées par une peur paralysante. Un chef-d’œuvre de près de trois heures où l’on ne s’ennuie pas une seconde!
de Cristi Puiu
Roumanie/France/Bosnie-Herzégovine/Croatie/Macédoine, 2016, 2h53