A voir mercredi 4 septembre 2013 à 13h35 sur Arte |
Filmer la biographie d’une personne encore vivante est chose risquée, à fortiori quand le scénario puise dans les mémoires de la dite personne; reste que tout l’intérêt du film de Brian Gibson réside précisément dans cette prise de risque: comment retracer la vie de la chanteuse Tina Turner, dont le statut de «victime» ne prête pas à discussion, sans pour autant tomber dans le règlement de comptes; autrement dit, en accordant une chance égale à tous les protagonistes de ce que l’on doit bien appeler un drame — même si celui-ci s’est bien terminé?
D’emblée, Gibson semble tirer le bon fil: il montre l’abandon provisoire de Tina par sa mère, alors que l’enfant a tout au plus six ou sept ans; ce faisant, le cinéaste révèle la blessure intime qui explique peut-être l’incroyable passivité dont Tina, devenue adulte (dès lors interprétée par Angela Bassett), fera montre face aux coups du destin (un mari violent à prendre comme un signe de la fatalité). Ce parti pris analytique paraît, dans un premier temps, nous prémunir contre les déformations narcissiques de l’autobiographie.
Après avoir retrouvé sa mère, alors qu’elle va sur ses dix-huit ans, Tina (qui s’appelle encore Anna Mae Bullock) est remarqué par Ike Turner (Laurence Fishburne), guitariste et leader intransigeant du groupe The Kings of Rhythm. Décelant une voix d’or, Ike modèle progressivement l’organe de Tina, lui fait adopter ses accents rauques, «du ventre», à l’origine de son succès phénoménal. Marié en quatrième vitesse au Mexique, le couple connaît rapidement la gloire. Las, Ike comprend tout aussi rapidement qu’il doit son succès au talent de sa femme. Ce constat constitue sans doute la cause première des violences qu’il exerce sur Tina (plaies et bosses, mâchoire cassée, etc.).
Pour se libérer de l’emprise de son mari, Tina va mettre plusieurs années, le temps de s’émanciper et surtout de croire en elle. Divorcée, elle peut conserver son nom de scène (une grande victoire) et commencer à 44 ans une brillante seconde carrière. De son côté, Ike sombre dans la drogue, séjourne en prison. L’on regrette alors que Gibson n’ait pas assez dévoilé l’intériorité du vilain bonhomme, sa blessure intime «à lui».
What’s Love Got to Do with It
de Brian Gibson
Etats-Unis, 1993, 1h57