Max Haufler, «Der Stumme»

de Richard Dindo |

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      Né en 1910, l’artiste suisse Max Haufler a d’abord été peintre avant de se tourner vers le cinéma en 1936. Il réalise alors trois longs métrages dont «Farinet ou L’Or dans la montagne» d’après Ramuz, en 1939. Toutefois, c’est surtout en tant que cabarettiste et comédien qu’il devient célèbre en Suisse et même à Hollywood. On le voit dans les films de Franz Schnyder, de Leopold Lindtberg et même dans «Le Procès», de Orson Welles, en 1962.
      Pourtant, au faîte de sa carrière d’acteur, Max Haufler se pend dans son appartement zurichois le 25 juin 1965. Depuis cinq ans, il cherchait à réaliser un film tiré du roman de Otto F. Walter, Der Stumme: celui-ci ra­conte la tentative d’un adolescent muet de retrouver le père violent et alcoolique qui l’avait abandonné et, par là-même, de recou­vrer l’usage de la parole. Haufler — qui pen­sait interpréter le rôle du père — rejoignait à travers le roman sa propre enfance, et voyait dans cette quête le reflet, voire la sublima­tion, de sa propre existence. Hélas, cinéaste «maudit» dans un contexte de production suisse plutôt frileux à l’époque, Haufler n’avait pu réunir les fonds nécessaires à la concrétisation de son projet.
      Presque vingt ans plus tard, Richard Dindo s’est alors approprié cette histoire où se re­lètent également sa propre recherche d’un père (absent) et de véritables racines identi­taires. Dindo réalise ici une double enquête: il filme Janet Haufler, comédienne et fille de Max, cherchant les traces (lieux, personnes, images) de son père disparu, retrouvant son père dans ses rôles au cinéma; et il met en scène des fragments du Stumme de Otto F. Walter où Janet Haufler joue elle-même le rôle du fils muet!
      Le «débordement» du documentaire vers la fiction dont parle Dindo à propos de ses films s’effectue ainsi parallèlement dans une dimension plus psychanalytique — à savoir le mouvement du père vers le fils, où Dindo, «fils de Frisch et frère de Rimbaud», prend pour la première fois la parole.
      Plus que jamais dans l’œuvre de Dindo, les éléments de la fiction et du documentaire s’emboîtent ici dans une structure de reflets extrêmement troublante: les niveaux de l’enquête se multiplient entre Max Haufler, ses personnages, son projet de film, sa fille et la vie de Dindo lui-même; car c’est en effet de façon doublement autobiogra­phique que Richard Dindo a mis en abîme le processus de résolution œdipienne que le comédien Haufler voulait désespérément ac­complir.
      MAX HAUFLER, «LE MUET», France / Suisse, 1983, 1h30, couleur & noir et blanc; programme n°8