Ce photogramme est tiré du film «Wanda» (1970) de Barbara Loden. Ce que regarde la protagoniste, jouée par la cinéaste, ce sont… ses pantalons! Dennis, son compagnon de route, vient de les jeter par la fenêtre de la voiture, en décrétant: «Pas de pantalons, Pas de pantalons avec moi!»
Le geste est terrifiant. Il trouve son explication dans la séquence précédente. On y voit Wanda sortir toute guillerette d’un shopping mall, portant une paire de jolis pantalons neufs qu’elle a sans doute passés directement dans la boutique. A sa vue, l’homme qui l’attend dans le parking s’en irrite: «Je vous avais dit d’acheter une robe…» En montrant son sac de courses, Wanda lui réplique, candide: «J’en ai une, là». Dennis exige alors qu’elle la mette sur le champ.
Par le biais d’une ellipse, il est clair qu’elle s’est exécutée, Dennis balançant les pantalons de la voiture en marche. La caméra cadre le vêtement qui traîne sur la route et raccorde en gros plan le visage de Wanda qui s’est retournée à demi sur son siège…
Le regard que jette alors Wanda en direction des pantalons est de l’ordre de l’indéfinissable, exprimant tout en même temps la surprise, l’incompréhension, une sourde rébellion. A l’image du sentiment féministe qui infuse en elle, sans qu’elle puisse l’identifier en tant que tel.
A propos du film
«Wanda» est un film absolument unique, aux deux sens du terme. Quelque cinquante ans après sa réalisation, il demeure toujours l’un des grands chefs-d’œuvre de l’histoire du Septième Art inconnue… pas moins!
Née en 1932, femme du cinéaste Elia Kazan, Barbara Loden s’est d’abord fait connaître en jouant des rôles secondaires dans les films de son mari, notamment «Le Fleuve sauvage» (1960) et «La Fièvre dans le sang» (1961). En 1970, sous l’œil perplexe de Kazan, elle passe à la réalisation avec «Wanda», film à petit budget, tourné en 16 mm, puis gonflé en 35 mm, à l’injonction de son mari admiratif devant le résultat. Soutenue par une coopérative de cinéastes indépendants new-yorkais, Loden écrit elle-même le scénario et en interprète le rôle principal.
Mariée à un mineur de Pennsylvanie et mère de deux enfants, Wanda se laisse «divorcer» par son mari qui lui reproche de ne pas remplir ses devoirs de femme au foyer – la prononciation du divorce donnant matière à une séquence d’une puissance inouïe. Seule, sans moyens de subsistance, Wanda vagabonde, puis fait la connaissance de Dennis, petit délinquant atteint de migraine persistante (joué de façon époustouflante par le trop méconnu Michael Higgins).
Wanda s’entête à le suivre dans ses pérégrinations piteuses; de maîtresse occasionnelle, elle devient sa complice, jusqu’au jour où, coincée dans un embouteillage, elle arrive trop tard à la banque dont Dennis a projeté le casse… Procédant par fines touches miraculeuses, Loden forme le portrait inoubliable d’une femme «sans qualité» opposant une résistance obscure et confuse à un devenir qu’elle n’a pas choisi. Las, Loden n’a pu donner suite à ce film à nul autre pareil: consumée par un cancer au cerveau, elle s’est éteinte en 1980.
Le film est actuellement indisponible en VOD ou DVD avec sous-titres français. Inscrivez-ci-après votre adresse e-mail et nous vous informerons dès que possible de ses disponibilités en VO sous-titrée.
